Vigie, avril 2016

 

 

 

LES BOURRASQUES EN AVRIL

 

Vigieavril2016bourrasques

 

Les bourrasques font battre les premières feuilles du jardin et précipitent l’enfant avide de vent sur la crête du Pic de l’Huile. Aussitôt arrivé il se rembrunit et, sans un regard pour le vert extraordinaire des prés ni les bois reverdissants, constate avec consternation qu’ « il n’y a pas de vent » – en tout cas bien moins qu’au village, où il déclare vouloir immédiatement retourner. « Attends, patiente, marche un peu ! »

Oreilles au vent (même s’il n’y en a pas), la chienne ahane dans la petite montée. À la voir fermer à demi ses yeux voilés par la cataracte et humer avec un contentement évident l’air tiède chargé d’effluves de fumier, on se dit qu’elle ne fait certes pas ses cent ans et qu’elle n’a même sans doute aucune conscience du temps. Elle trottine en soufflant (contrairement au vent) près de l’enfant qui marche à grands pas boudeurs. Très haut un avion traverse le ciel tourmenté. Puis les bourrasques reprennent.

Aussitôt l’enfant se précipite à travers champ, effectuant parmi les pissenlits une chorégraphie assez proche de la parade de la grue cendrée, et que souligne élégamment la queue rouge vif sur fond vert du cerf-volant. Mais nul envol ne suit. L’enfant revient, plus maussade encore. On se garde de se moquer – on a soi-même bien trop de mal à quotidiennement accepter l’intermittence de ces coups de vent qui permettent l’envol poétique pour ne pas compatir. On traverse alors en courant toute l’esplanade, suivi de près par la chienne et par le cerf-volant qui tourbillonne mais ne s’envole pas. Il faut se rendre à l’évidence : l’envol, ce ne sera pas pour aujourd’hui. Autant dire que la journée est gâchée, l’escapade inutile, qu’on est privé de printemps, et qu’il n’y a plus qu’à retourner hiberner au Terrier.

On marche quand même jusqu’au bout du Pic, d’où l’on admire la progression du vert et, partant, celle du temps. « Tu te souviens de la Vallée début janvier ? On dirait que c’était il y a si longtemps… » Ici le vent souffle bien, souffle cruellement pour l’enfant au cerf-volant, qui par dépit icarien et nostalgie du si beau séjour dont il revient là-bas, dans le Pas-de-Calais, rêve de se précipiter du haut de la falaise – ou, tout au moins, d’y jeter son engin malgré les risques des fils électriques et des arbres. Les feuilles des érables font un contraste admirable avec le bleu flou de Belledonne. Toute la Vallée pépie, croasse, chuinte, s’agite vainement. L’enfant, alors, disparaît.

On le retrouve un peu plus loin, pépiant à son tour, s’exclamant : « L’oiseau, l’oiseau ! » ou bien « Plus haut ! » − enfin participant. Le dieu des bourrasques enfin l’a entendu, qui lui a octroyé la grâce de l’envol. On regarde, on admire les mouvements du cerf-volant qui passe entre les nuages. On exécute à son tour dans l’herbe quelques figures intrépides, poiriers instables ou roues vacillantes. Et puis, penché sur l’herbe comme des limicoles à la pêche, on cherche longuement – et l’on finit par trouver – la tige en métal noir tombée du cerf-volant, ainsi qu’un vieux crayon…

On trace ces lignes-là pour ne pas être en reste.

 

Vigieavril2016cerfvolant

12 avril 2016

 

Ce contenu a été publié dans 2016. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.