Vigie, décembre 2018

 

 

 

 Un chat borgne

 

Vigiedécembre201801

 

La petite chatte tigrée Onça – celle qui autrefois sautait de branche en branche dans le jardin de Rémire pendant que je lisais dans mon hamac La Chanson de Roland – n’est plus qu’une vieille chatte borgne et apeurée. Apeurée, parce que borgne, évidemment, et même presque aveugle car l’œil qui lui reste est infecté ; borgne parce que le chat Musique, probablement, lui a lancé un mauvais coup de patte et que la blessure n’a pas pu être guérie.

L’œil crevé, arraché, éviscéré, énucléé (les mots sont parfois aussi laids que ce qu’ils désignent) est parait-il un signe du destin, aussi ma pauvre vieille chatte me rappelle-t-elle tristement qu’elle avait, au temps lointain où elle pouvait encore jouer les dominantes, failli éborgner le chaton Musique que j’avais ramené et qui, devenu grand, lui a sans doute rendu la monnaie – ainsi va le monde, œil pour œil, dent pour dent, etc.

Plus largement je me dis qu’on ne change pas, qu’on ne change jamais vraiment rien, que toutes ces histoires de métamorphoses sur lesquelles j’ai beaucoup glosé l’an passé ne sont que des fantasmes, tant on se contente, homme ou bête, de suivre un trajet qui semble, malgré les ricochets, les imprévus, les illusions d’échappées, tracé d’avance.  

 

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