Vigie, juillet 2020

 

 

 

L’explorateur

 

 

Vigiejuillet202001

 

Quiconque passant par ici et me voyant allongé dans mon hamac à regarder en l’air pourrait juger, bien à tort, que je mène des vacances oisives vouées à la sieste. Il n’en est rien : en fait, j’explore.

J’explore les ramifications infinies des dix-mille sentiers que tracent au-dessus de moi la lumière et les feuillages mêlés des bouleaux et des saules, sentiers pas moins riches que ceux qui parcourent Belledonne où je retournerai marcher demain ;

j’explore les pistes bleues du ciel, libres de toute traînée depuis qu’on a remisé les avions dans des hangars (et je le regrette presque car j’aimais assez au fond me demander vers où ils s’en allaient), n’espérant qu’une petite parade d’aigles (il y en a encore deux qui ont voltigé au-dessus de la maison avant-hier) ou juste le passage d’un milan royal ;

j’explore la faune locale en écoutant les conversations staccato des fauvettes occupées à se repaître des fruits jaunes de ce petit fruitier que j’ai longtemps pris pour un mirabellier mais qui est bel et bien un prunier, ou le tambourinage lointain d’un pic qui résonne à mes oreilles comme l’un des sons les plus sauvages du monde ;

j’explore les limites de la domestication en considérant mon chat Musique qui, bondissant du hamac, est en train de remonter les branches du saule marsault avec une allure de panthère, ainsi que le faisait autrefois ma petite guyanaise Onça du temps de sa jeunesse de félin acrobate – et il est bien évident lorsqu’on voit le chat grimper de cette façon qu’il reste un animal sauvage, comme en atteste également Dana, ma petite siamoise qui dormait contre moi d’un sommeil troublé et qui a brusquement sauté du hamac et traversé tout le jardin à grands bonds de belette parce qu’un chat inconnu avait feulé quelque part en dehors du jardin ;

j’explore la douceur de l’instant, pas moins profonde qu’une fosse marine, pas moins riche que toutes les montagnes du monde, pas moins étrange que les ailleurs les plus lointains, et pas moins vitale que ce livre qu’il me faut écrire, je sais bien, mais dont l’éventuelle valeur littéraire sera bien misérable si son écriture n’est pas d’abord irriguée par cette joie de vivre à laquelle elle doit rester humblement subordonnée comme une prêtresse devant son dieu, comme un poète devant sa muse…

 

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