Vigie, janvier 2022

 

Givre et soleil

 

Vigiejanvier22 05

 

Tout autour du grand châtaignier les sangliers ont si bien retourné le sol, mus par la faim plus que par la nostalgie je suppose, qu’ils ont remis à nu tout un cercle d’automne. Ciel très bleu, champ tout blanc qui scintille. C’est ici même que Rimski, l’an passé, a fait ses premières sorties dans la neige. Je le regarde gratter, en quête de mulots. Passent un geai, une corneille, une voiture, passent ces instants hors du temps de nos vies de promeneurs. Le ciel bleu de l’hiver, je l’ai déjà dit je crois, ne m’effraie pas comme celui de l’été, et même me rassure à cause de l’harmonie naturelle qui nait du blanc de la neige et de cette couleur froide aussi, mais somptueuse. J’ai peu de temps pourtant, dis-je à Rimski, on se contentera du petit tour par le bois en passant par la mare toujours aussi gelée. Le froid persiste. Les empreintes des hommes et des bêtes, ces dernières bien plus nombreuses, s’accumulent, s’entrecroisent, se superposent, comme les traits des gravures préhistoriques, donnant l’impression, même si on ne voit aucun animal, de vivre dans un monde étonnamment peuplé – c’est à coup sûr l’expérience que connait chaque fois Rimski, qui n’a rien besoin de voir puisqu’il sent tout.

Tout de même, par rapport à hier, je vois bien que la neige fond, dans les zones bien exposées, en lisière, où le tapis de feuilles apparaît de nouveau. Rimski creuse encore. Je regarde l’ombre démesurée d’un poirier. Trilles des mésanges. Rumeur puissante du Gelon en cru. À part ça, grand silence. Si la beauté du paysage ne me suffit plus, je regarde trottiner mon loup blanc à poils longs, c’est la beauté sauvage juste à portée de laisse, c’est la beauté tout court que ce chien samoyède. L’éblouissement proche du gâtisme qui me saisit à chaque fois que je le retrouve, à chaque fois que je le regarde, ne m’empêche cependant pas de pester lorsque, soudain, parce qu’il a repéré un chevreuil, il part en trombe en arrachant le dérouleur de la longe et qu’il me faut lui courir après ; fausse joie pour lui, fausse peur pour moi, la longe se coince assez vite dans une branche, et je le récupère dans un état de surexcitation extrême.

La force de cet animal qui pèse vingt kilos de moins que moi peut être stupéfiante, c’est à peine si j’arrive encore à le tenir, et je repense avec amusement à cette époque pas si lointaine où je pensais pouvoir lui apprendre le rappel avec des friandises, des bouts de saucisses, la longe et le sifflet. Je pense qu’il est possible d’apprendre le rappel à un samoyède – mais dans un autre monde où il n’y aurait ni cerfs, ni chevreuils, ni renards, ni aucune de ces tentations auxquelles son instinct lui intime l’ordre de céder. Je suis même étonné que la laisse pourtant usée le retienne encore (mieux vaut ne pas dire cela, elle risque de casser…).                      

14/01

 

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