Vigie, janvier 2022

 

Nouvelle marche

 

Vigiejanvier22 03 

 

Nouvelle marche dans la neige fraîche. Je dis: « nouvelle marche », parce que c’est vraiment comme si la marche, si l’hiver avaient été remis à neuf. La gouille gelée et enneigée, encore nimbée d’une légère brume qui commence à céder la place au ciel bleu, les arbres poudrés de frais qui laissent tomber sur le sentier leurs averses continues et donnent l’impression qu’il neige encore, recomposent une nouvelle partition hivernale. Une fois de plus je regrette la pauvreté des mots qui me viennent, et peut-être des mots tout court, pour dire ou au moins tenter de suggérer la richesse et la beauté du paysage et du moment – il faut bien préciser « du moment », car dans une heure, dans un jour, ce sera déjà tout autre chose, la neige gelée qui orne la moindre branche aura fondu et la brume qui transforme la vallée en aquarelle de Samivel se sera dissipée et la féerie aura laissé place, disons, à l’émerveillement ordinaire.

Cet émerveillement devant la beauté de l’hiver (qui s’accompagne en notre époque de dérèglement généralisé du climat d’une forme de soulagement), je sais bien qu’elle n’est pas partagée par tout le monde. Hier Nathalie pestait contre l’hiver, contre la route verglacée et disait même qu’elle ne finirait pas sa vie ici ! Croisant tantôt la mine austère du voisin occupé à pelleter, je me suis bien gardé de lancer un jovial : « Comment ça va ? Belle neige, n’est-ce pas ? » ; avec le temps, j’ai quand même fini par apprendre la politesse.

C’est donc comme toujours avec Rimski que je partage ce plaisir pour moi un peu coupable (contrairement à mon chien je ne peux pas ignorer complètement que l’hiver, pour beaucoup d’hommes et de bêtes, n’est pas porteur de joie ni même de simples désagréments, mais de mort). Le samoyède sourit. C’est ainsi, il a ce sourire caractéristique de la race qui lui donne un air si bon (et dans son cas ce n’est pas une tromperie). Mais quand il neige on dirait que son sourire s’élargit. Il faut le voir gambader dans la poudreuse, tourner sur lui-même, la langue pendante, se rouler, se secouer, enfouir son museau dans la neige puis se mettre à creuser, pour avoir une idée de ce que c’est que la joie en hiver. Même un enfant finit par se lasser des bonhommes de neige, des séances de luge ; Rimski, lui, ne peut pas se lasser. Il faut dire que la double épaisseur de son poil lui permet d’endurer sans peine des températures polaires qu’on n’observe même pas chez nous (il ne faut pas être jaloux : c’est en été qu’il souffre, et souffrira sans doute de plus en plus, comme toutes les bêtes adaptées aux grands froids).

Ensemble nous remontons une fois de plus le chemin du Gelon, qui est à la fois bien plus beau que la semaine dernière et plus praticable qu’après les grandes chutes de décembre. On se dit (d’ailleurs à tort) que cette fois la neige ne tiendra pas très longtemps, puisqu’un ruisseau s’est déjà reformé au milieu du sentier. La neige cache en partie les dégâts de décembre, rendant à la forêt un aspect plus paisible. Seul le Gelon a redoublé de sauvagerie, qu’on traverse à quatre pattes en empruntant le petit pont encore encombré de branches et de neige…

 

10/01

 

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