Vigie, janvier 2022

 

Janvier se fige

 

Vigiejanvier22 09

 

Le soleil émerge à peine au-dessus du grand champ, halo incandescent qui nimbe la montagne. Il fait toujours très froid, la neige ne fond pas. Toute la combe est prise dans une mer étale de brouillard d’où émerge comme toujours le panache de fumée de la cartonnerie.

Ici, sur nos hauteurs, c’est encore une journée lumineuse. La neige durcie et les feuilles gelées craquent sous le pas. Un coq lance son cri théâtral – c’est son salut à la lumière. La fumée d’une cheminée souligne les faisceaux du soleil qui font comme des projecteurs sur le hameau  des Landaz. Ballet des mésanges bleues. Un quidam invisible tape avec un marteau et l’on dirait un tambourinage de pic. Comme, ces derniers temps, Nathalie confinée s’est occupée du chien, cela fait un moment que je ne suis pas revenu par ici, en ce havre de La Martinière où j’ai la sensation (tout à fait abusive bien sûr) d’être un peu chez moi, puisqu’une partie de mon être semi nomade, par intermittence et en rêve, habite ici. Les propriétaires de la bicoque d’en haut seraient probablement bien surpris d’apprendre que leur baraque inoccupée est squattée en songe par un promeneur de chien. Dieu merci, aucune loi ne pourra jamais interdire cette sorte d’occupation qui ne gêne personne.

Brève halte à l’orée de la forêt, en plein soleil, sur ce tapis de feuilles arrondies offerts par les chênes où un animal a dû laisser son odeur, à en juger par l’état dans lequel se trouve Rimski. On dévale prudemment la pente verglacée qui mène au barrage. On s’immobilise devant la cascade de glace, comme l’eau elle-même s’est immobilisée. Janvier se fige dans le mouvement arrêté des stalactites luisantes ; mais la débâcle lente fait déjà gronder le torrent, et la lumière de plus en plus vive qui gagne le ravin remet en tête des idées de printemps.

Voici dans la neige les traces laissées par les lièvres, que Rimski flaire. La brise froide qui monte du Gelon rougit mes joues. Plus loin le grand sapin cassé jeté au sol semble déjà vieux, couvert de neige et comme déjà pourrissant, alors que la partie restée plantée exhibe une blessure encore fraîche – comme un soldat amputé contemplant le membre qui lui manque.

Rimski gambade entre les branches couvertes de fleurs de givre. Là-haut sur la crête entre les arbres noirs, le soleil a percé un tunnel de feu froid que l’on regarde jusqu’à l’éblouissement. La glace du chemin ne craque pas, sur laquelle Rimski laisse les traces de ses griffes.

Grand froid. Marche sans plus de paroles. Sur le socle d’une souche recouverte de ronces gelées, une statue de neige – beauté éphémère qu’on pourrait croire vouée à l’éternité. Puis on émerge du ravin en plein soleil sur la route dégagée, on marche sur ce goudron raboté, tout propre, qu’on est tenté de qualifier de printanier,  cependant que Rimski continue son bain de neige en sautant sur le bas-côté.

 

27/01

 

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