Vigie, novembre 2023

 

Promenade de nuit

 

 

Je marche dans la nuit froide, à six heures du matin, sur le chemin tout scintillant de givre. La neige à son tour est venue, en visiteuse un peu pressée, le dernier week-end de novembre : de brèves averses, une très fine couche vite emportée, à peine assez pour affoler les chiens. Installé dans le bureau de La Martinette j’ai relu et corrigé pour la dernière fois j’espère Dans ma mémoire indienne ; et ce matin, donc, bien trop tôt, la lampe frontale posée sur la casquette de chasse de mon grand-père, je marche sur le chemin durci.

Une lune presque pleine et complètement brouillée par les nuages se couche derrière la colline. La grande descente de La Martinette, je n’ai pas hâte de la faire quand sera revenu le temps du verglas (et je m’imagine déjà dévalant, emporté par Rimski et Nouchka, ainsi que ce sera effectivement le temps quelque temps plus tard, en décembre…). Pour l’instant l’herbe givrée émet sous la botte un crissement très plaisant. Les ronces défaites montrent le dessous clair de leurs feuilles comme des bêtes renversées leur ventre. Les deux chiens semblent chorégraphier leurs arrêts dans le projecteur de la lampe, Nouchka se calquant sur Rimski pour faire ses besoins, pour humer, pour gratter le sol ou repartir à toute allure.

Le noir d’encre au fond du ravin et le vacarme du torrent emportent le peu d’images et de mots que je gardais dans ma besace : les remous et l’écume vus en passant dans le cercle éblouissant de la lampe, les spectres des arbres penchés sur le tunnel que je remonte en automate traîné mollement par la meute, la glace trop fine de l’ornière qui se brise aussitôt sous la patte. Arrivé au pont, je ne sais pas, je crois que c’est la lune qui se dévoile ou l’aube qui progresse mais en fait c’est le givre qui éclaire ce creux particulièrement humide de milliers de cristaux, réveillant un émerveillement enfantin probablement lié au dessin animé de Walt Disney Blanche Neige, les nains dans la mine, comme un fragment d’enfance…

On continue sur le chemin scintillant, slalomant entre les ornières givrées dont on voudrait ne pas briser les ornements et le torrent déchaîné, dans cette pénombre féerique où le rêve et la réalité se rejoignent.

27/11/23

 

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