Vigie, novembre 2023

 

Les craintes dans l’air froid

 

 

Il vient peu à peu, finalement, le froid lumineux de l’hiver, sans neige encore, timidement, mais c’est le froid quand même. On n’en est pas encore aux gants ni même au manteau, j’ai simplement enfilé mon pull anthracite, mais on sent bien aujourd’hui dans l’air que parfument les feuilles fermentées cette pointe piquante qui suggère l’approche de l’hiver. Les feuilles tombent sur les feuilles. Les derniers nuages se dissolvent en fragments vaporeux au-dessus de Belledonne inondé de lumière.

Ces derniers jours j’ai ressenti assez fortement l’anxiété de novembre, toute cette nuit qui nous entoure, cet épuisement de tout, avec ces pensées du matin qui sont pensées du soir : à six heures, quand le réveil sonne, juste avant que les chiens ne viennent réclamer les premières caresses, se dire avec la plus grande stupeur et un effroi jugé après coup excessif, qu’on va mourir, tôt ou tard, que c’est inévitable, et puis les chiens aussi, et tous ceux qu’on aime, et tout ce monde auquel on est tellement attaché ! Traversant ensuite la cour du collège je n’ai plus vu soudain que les nuages noirs au-dessus de la colline de Bramefarine qui formaient comme une falaise monumentale. Le ciel incroyablement menaçant était traversé par une sorte de piste blanche le long de laquelle je me suis senti dériver. Pendant quelques instants j’ai oublié où j’étais et ce que j’avais à faire. J’ai prononcé quelques phrases assez incohérentes et tout le reste de la journée a été comme déréalisé par cette image de cauchemar éveillé.

C’est maintenant que je retouche terre, que je perçois à nouveau les arbres, les feuilles, la blancheur des chiens qui marchent côte à côte à quelques mètres devant moi. Je détache Nouchka qui prend la tête de l’attelage, tout en restant près de Rimski. Toutes les craintes se dissipent dans la lumière et l’air froid.

24/11/23

 

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