Vigie, novembre 2023

 

La force des habitudes

 

 

Ce jour de rentrée est aussi le premier de la grande rupture, puisque Nouchka est restée seule pendant 2h40 avec Rimski et les chats. Je rentre à la maison avec une impatience redoublée : ce sont deux chiens qui, désormais, m’attendent, dont l’une n’est pas encore habituée aux disparitions et réapparitions successives qu’occasionne mon incompréhensible emploi du temps. J’arrive, un peu inquiet, mais aussitôt soulagé de voir les deux têtes des deux chiens blancs au garde-à-vous derrière le portail.

Deux chiens blancs ? C’est beaucoup dire. Il n’est pas nécessaire d’aller voir le jardin pour comprendre à quels jeux de taupes, de sangliers ou de blaireaux ils se sont adonnés… Nouchka pousse des jappements suraigus, auquel se joint plus nonchalamment Rimski. Pour la première fois il fait preuve d’autorité vis-à-vis d’elle, grognant pour recevoir en premier la caresse. Mon voisin Patrick qui est venu les voir dans la matinée parlera de jalousie, je vois là davantage l’habitude bien ancrée qu’a Rimski de se faire caresser par tous ceux qui passent devant la maison, et sur laquelle il n’est pas question de revenir.

Bientôt je reprends le chemin sous un ciel très gris, très lumineux, strié du côté de la Chartreuse de quelques pans de bleu vif. La neige n’est pas très loin, dont on sent le souffle, mais c’est encore un jour de plein automne dont les couleurs enfin se sont mises à flamboyer un peu. Nouchka flâne en arrière pendant que Rimski va de l’avant sur cet itinéraire qu’il connaît par cœur. Le soleil sur les feuilles fait monter une odeur de fermentation qui résume à elle seule la saison. Je palabre un moment avec Philippe, puis avec Élodie et ses parents. Une mûre brille au soleil, que je renonce à cueillir pour la laisser aux renards ou aux oiseaux qui en ont plus besoin que moi.

On avance lentement car Nouchka veut s’arrêter à chaque flaque, chaque buisson, tout flairer, prendre le temps de patauger, parfaitement indifférente à l’envie qu’a Rimski de trotter et à l’obligation dans laquelle se trouve le bipède à ses services de retourner bientôt au travail. Ce sentier bien tracé par les hommes et balisé par les marquages de Rimski, pour elle ne fait pas sens, car il est traversé d’autres sentiers invisibles mais odorants qu’elle voudrait explorer, mais la force des habitudes qu’on est en train de mettre en place la feront bientôt accepter une marche un peu plus rectiligne, sans doute…

 06/11/23

 

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