Vigie, novembre 2023

 

La chienne d’avant, le chien d’après

 

 

« Les matins mouillés de novembre avec la brume au bout des dents… », c’est ce que semble marmonner la vache qui mâchonne l’herbe trempée. Encore une fois on dérive sur un tapis de feuilles multicolores, en route vers les crêtes enneigées et brumeuses. Rimski fonce vers l’hiver dont il perçoit sans doute l’appel, Nouchka s’attarde dans l’automne en farfouillant parmi les feuilles amassées dans les ornières, en arrière toute, freinant la progression – puis les deux chiens s’accordent autour d’une même odeur. Ils me résument bien, au fond, ces deux chiens, masculin-féminin, chien de l’avant et de l’après, de la progression ou de l’arrêt. Parvenu sur cette route à l’orée du grand bois en dessous des Portiers, il m’est difficile de ne pas penser chaque fois à la dernière promenade hivernale faite ici avec Josette, très conscient de cette fin qui était sur nous, tout comme je songe à présent qu’un jour viendra, si tout va bien, où je repasserai ce seuil en me remémorant la marche d’aujourd’hui avec Nouchka et Rimski sous l’interminable pluie de novembre. Ce n’est pas triste mais c’est tendu, un fil tendu sur lequel je funambule…

J’arrache tant bien que mal Rimski à une obsession épineuse. Je bouscule un peu, à peine, Nouchka qui se complaît dans la rêverie. Que diable, il faut avancer sur cette route qui s’élargit après la forêt, laisser à main gauche l’impasse des girolles et le bassin qui déborde pour s’engager en direction de la Boucle du Soleil, peut-être apparaîtra-t-il quand on l’aura bouclée… Des chasseurs se séparent qui lancent un tonitruant « allez ! a’rvi ! »… La pluie redouble. Délaissant la Route de la Montagne, j’emprunte celle de Prévieux. C’est ici qu’autrefois nous avions franchi avec les enfants la buse où passe le nant : cela semble d’une autre vie.

Dans le dernier chalet un chien à grosse voix terrifiante aboie dans les graves. Je me retourne plusieurs fois avec la peur d’être poursuivi. Qu’elles sont longues, ces pistes forestières, quand on y passe à pied, et tristes ces chablis ravagés par des forestiers peu scrupuleux…

09/11/23

 

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