Vigie, janvier 2024

 

Ce monde d’ombres et d’échos

 

 

On accomplit dans la neige et le froid les lents préparatifs du voyage d’aujourd’hui, qui est comme un nouveau départ : la première sortie à trois depuis longtemps. On craint le pire à l’ouverture des portes, quand le gros ours et le petit renard unis dans une même frénésie foncent aussitôt sur le chemin verglacé ; puis la marche commence, plutôt tranquille, entre la brume du haut et la brume du bas, parmi toutes ces nuances de gris-blanc-noir et de couleurs pâles.

Un petit chat noir file au bout du champ dans la neige, comme une ombre égarée, autonome, sans objet. Les aboiements éperdus de Rimski se répercutent contre la montagne.

Dans le grand champ aux biches il n’y a pas de biches, mais Nouchka part en flèche à la poursuite d’un souvenir (à moins qu’elle ait l’ouïe ou l’odorat plus fins que Rimski, resté étrangement placide). Les voici qui mêlent leurs aboiements aigus, qu’on croirait adressés au ciel gris, aux arbres nus, mais qu’en ce moment les oreilles dressées des cervidés invisibles captent et interprètent comme des menaces.

De larges empreintes encore toutes fraîches et une odeur d’eau de toilette me laissent cependant supposer qu’il y avait un bipède ici, dans le bois, juste avant nous, et peut-être était-ce après lui que les chiens aboyaient. C’est ainsi qu’on croise nos traces entre inconnus, sans se rencontrer, comme le chien blanc n’a pas rencontré l’ombre du chat, comme les appels répercutés contre la montagne se mêlent sans que leurs auteurs ne puissent s’approcher, comme parfois aussi le livre avec ses lecteurs – c’est ainsi qu’on traverse ce monde d’ombres et d’échos.

08/01/24

 

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