Défi à la nuit
Soudain, défi à la nuit, à la fatigue, au temps compté, aux pas feutrés, me vient l’envie irrépressible de partir marcher dans la nuit, comme lorsque adolescent je m’en allais avec mon amie Sophie, maquillé comme une roue de carrosse, Madame Butterfly ou Guidoni au Cirque d’Hiver, marcher dans la campagne du Carrel jusqu’à l’aube sous les étoiles, exalté comme je le suis ce soir d’hiver, saoulé de vivre – c’est-à-dire non pas lassé mais au contraire tellement débordant, comme ce soir aussi je sens que quelque chose de cette même soif que rien ne saurait étancher me déborde. J’enfile la casquette de mon grand-père, sur laquelle je mets la lampe frontale qui fait un vrai phare de voiture et qui bientôt éclaire les particules du brouillard qui foncent comme nous dans la nuit et les branches spectrales des saules marsault recouverts de givre. La vie est folle, les chiens sont fous, ils veulent foncer vers le bois et moi bien sûr je les retiens dans cette nuit qui scintille de désirs frénétiques, je les retiens grâce à la nouvelle ceinture de musher spéciale « expéditions polaires » dont j’ai fait aujourd’hui l’acquisition, et comme toutes les bêtes sont là bien sûr alignées narquoises en lisière cela se transforme en combat, c’est le plus fort qui gagne, la traction sur la corde est incroyable, si je les perds maintenant je les retrouve dans dix jours à l’autre bout des Alpes mais c’est du bon matériel que j’ai là et qui tient, et moi aussi je tiens sur mes deux bâtons bleus plantés dans la nuit blanche ! Mon haleine dans l’air glacé rajoute un peu de brouillard au brouillard, mes deux chiens blancs qui foncent dans le faisceau du phare sont aussi des chiens de neige et de brouillard… Allez les fauves, on fonce, on glisse, on dévale et puis, c’est le meilleur, on remet ça demain matin : rendez-vous à six heures !
11/01/24
