La salle en novembre

 

 

 

COMME DANS UN FILM EXPRESSIONNISTE

 

 

Salle novembre 02

 

 

La salle en novembre s’assombrit. Tout sombre dans le gris, le terne, le tendu. L’élan de septembre n’est plus, les couleurs d’octobre ont passé, et même l’envie d’écrire – d’écrire sur la salle, dans la salle – s’amenuise…

 

On traverse lentement la combe embrumée, puis la cour détrempée où perce quand même la lumière ; parmi les feuilles mortes, une veste oubliée, et deux corneilles sautillent là-haut sur la vague du toit.

 

On pense au passé, on pense à l’hiver qui s’approche et qui blanchira bientôt les tables de ping-pong où personne ne joue. On peine à s’arracher à la nuit. La lumière qui s’allume toute seule dans le couloir désert n’a rien de rassurant, et même l’extincteur semble un masque grimaçant.

 

Un jour deux élèves de Troisième ont mis leurs têtes aux deux hublots de cette porte du fond et, chacun bougeant simultanément d’un côté et de l’autre, on aurait vraiment cru le regard monstrueux d’une sorte de robot – regard vide, aujourd’hui, et pas moins monstrueux.

 

Pourquoi est-ce qu’il n’y a personne aujourd’hui ? Pourquoi les néons, même allumés, semblent ne rien éclairer ? Pourquoi ce maudit volet ne s’ouvre-t-il pas ?

 

*

 

Installé seul dans la salle avant le premier cours qui n’aura lieu que dans trois heures, costume noir, chemise blanche, cravate bleu sombre comme toujours pour ces séquences et ce moment de l’année qui exigent distance, rigueur et froideur, je savoure ainsi cette atmosphère parfaite pour aborder l’art et la guerre en Troisième, et la nouvelle fantastique en Quatrième.

 

L’an passé j’avais réalisé un montage photographique que je projetais au tableau, accompagné d’une musique sinistre, pendant que les élèves écrivaient leurs récits (j’avais sélectionné des images en lien avec les thèmes et les lieux qu’ils avaient choisi d’aborder : personnages inquiétants, manoirs en ruines, etc.) ; me vient soudain l’envie de les accueillir avec un nouveau montage.

À la va-vite je photographie le couloir, la salle, puise dans mes archives des images du Cabinet du docteur Caligari, de Cat people ou de Nosferatu, convoque comme toujours la littérature, le cinéma, la chanson, Artaud et Michaux, Guidoni et Thiéfaine, mêlés aux gouttes de pluie et à ma propre image ; je pousse les contrastes comme dans un film expressionniste, me laisse aller aux associations d’idées et d’images, colle une bande-son, puis l’ordinateur fait le reste.

 

Toute la journée défile ce petit film qui, mine de rien, me semble assez bien dire cette rentrée de novembre, et fait danser mes ombres…

 

4 novembre 2019

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