DE NOUVEAU LA NEIGE
De nouveau la neige papillonne aux fenêtres et brouille le paysage : on lève la tête du livre, et l’on dirait que tous ces petits points blancs qui voltigent ne sont qu’un effet du vertige. La sensation de retrait s’accroît. On a froid. On voudrait se nourrir de ce froid, de ce retrait, de ce silence neigeux, de cette vaste masse grise de la montagne effacée. On se croirait assez facilement hors du temps (qui, lui, naturellement, travaille encore et toujours à sa tâche).
Mon père est en bas, qui travaille de son côté à refaire la salle de bain — avec, comme à son habitude, patience, méticulosité, opiniâtreté, élégance même. L’art avec lequel il ne s’énerve presque jamais des obstacles qu’il finit toujours par franchir ou contourner, me laisse pantois.
Ma mère est là, qui sans doute joue avec les enfants, ou aide, ou se repose (cette dernière hypothèse étant à ce jour la plus improbable). Fatiguée pourtant. On attend le 1er mars, et la prochaine épreuve qui porte ce beau nom de « scintigraphie » qui pourrait désigner l’ « écriture de l’éclair et de la neige » mais ne renvoie qu’à la triste réalité de la maladie, de ses fausses reculades, de ses vraies avancées. Déjà on se demande si l’on pourra partir ensemble, comme on l’avait prévu, en Dordogne, à Madère (ces voyages finalement se feront, ainsi qu’un ultime séjour à Paris, mais à l’heure de ces notes on ne le sait pas encore et on doute).
On avance doucement sur ce mauvais chemin. Les fondrières. Les effondrements. On n’a plus aucune impatience. On ne souhaite même pas sortir de l’hiver, mais plutôt, si on pouvait, le ralentir. On laisse tourbillonner la neige. On suit du regard la course hésitante des flocons, les va-et-vient des geais, des tarins, des pinsons, des grosbecs, des mésanges assemblés autour de la maison.
Puis on reprend les livres, on laisse les oiseaux, les flocons et l’on poursuit l’autre route que tracent les mots. Le voyage intérieur. La neige de derrière les paupières. Le blanc d’avant le blanc. Le silence. Le retrait.
24 février 2013