Vigie, octobre 2013

 

INTÉRIEUR LUNE

 

 

 

Vigie, qu’est-ce que tu vois ?

— Pas grand-chose, comme souvent. Rien de bien engageant. Des menaces et des ombres, encore. Les coulées des vieux rêves, des lignes embrouillées, des signes larmoyants. Quelques lueurs.

Vigie, qu’est-ce que tu annonces ?

— Aucune bonne nouvelle. Aucune mauvaise non plus. Pas l’avènement d’un nouveau monde. Pas même la fin de l’ancien…

Bien sûr l’aube approche, et l’on devine déjà la ligne plus sombre des crêtes et la silhouette du vieux poirier. La pâle lueur démultipliée de la pleine lune reluit dans les gouttes bleu nuit (on peut faire, avec cela comme avec tout, des phrases qui sonnent bien). Mais le paysage pour l’heure est troublé, brouillé, obscur. On dirait une noyade de lucioles. Cette pleine lune d’octobre ne dit plus la possibilité d’une plénitude (il suffirait sans doute d’ouvrir la fenêtre pour voir les choses autrement, mais c’est précisément ce qu’on se refuse à faire). Elle se dissout dans la nuit comme elle se dissoudra dans l’aube : promesse non tenue, vision trompeuse d’un rêve d’harmonie, mirage d’île qui ne tremble au loin que pour appâter les vigies dépitées.

Il faut dire aussi que cette nuit, la Lune du Chasseur (c’est ainsi que l’on désignait naguère la pleine lune d’octobre, propice à la chasse des oiseaux migrateurs et occasion de fêtes) s’est trouvée prise dans l’ombre de la Terre, ce qui a provoqué une discrète éclipse que seuls les amateurs de lunes ont dû remarquer. On nomme cela éclipse pénombrale. Quelques heures durant la lune a semblé plus sombre en son sommet : voilà ce qui se passe lorsque la Terre intercepte la lumière du soleil. Humainement parlant c’est aussi assez vrai : tout ce qu’on voit au travers de notre ordinaire confusion ne semble pas bien clair…

La période actuelle — je parle de l’automne en ce 19 octobre — est de fait agitée. Il paraît (mais je n’y connais goutte et n’accorde pas grand crédit à ces considérations-là) que la pleine lune est « en Bélier » (emmêlée ?  embêtée ? pas vaillante en tout cas) et que « bien que nous soyons au milieu du cycle de lunaison en Balance » (ce qui signifie paraît-il « harmonie et équilibre »), « l’énergie qui est dans l’air ne prédispose pas au calme mais génère un climat électrique ».

Il suffira d’un peu de patience et de laisser paisiblement ou violemment se poursuivre le mouvement du monde pour que le jour vienne remettre en lumière son beau désordre. On n’y verra pas beaucoup plus clair mais quelque chose, quand même, là-derrière, là-dehors, là-dedans, tanguera et flottera encore dans l’air, comme le rêve tenace d’un vieil arbre…

19 octobre 2013

 

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