Route, novembre 2013

 

 

 

LE SALE HIVER

 

 

Midi, trois degrés. Visibilité quasi nulle. Pluie et brouillard. Route luisante, sans nul reflet cependant. On glisse dans un nuage froid. L’hiver, le sale hiver. On  annonce pour ce soir l’arrivée de la neige qui recouvrira tout cela. Un vieux tapi de couleurs traîne pourtant encore au sol forestier : en grattant un peu parmi ces feuilles on pourrait sans doute encore ramasser quelques grappes de trompettes, qui seraient sans doute immangeables, gorgées d’eau, moisies. 

Un chat roux trottine sous la pluie et rentre dans une maison. À la sortie de Presle, là où la route s’est effondrée, il y a à nouveau des travaux. La terre a recommencé à s’effriter et je suppose qu’on craint un nouvel éboulement.

Le bosquet de bouleaux brûle encore sous la pluie, dernières flamboyances d’un automne quand même bien décharné. Les mélèzes sont superbes. Passant le long de cette allée bordée de grands arbres trempés, je revois curieusement le fantôme de nos deux ombres marchant une dernière fois, à Pragondran, sous la pluie, avant le départ en Guyane. C’était, au cœur de l’été, mais une désolation de novembre nous étreignait. Je ne savais pas alors à quel point nous étions jeunes et je n’aurais jamais admis qu’on puisse nous dire insouciants. Nous l’étions pourtant…

Dans le champ un jeune veau mâchonne l’herbe froide de son premier hiver. Lui qui  n’a connu pour ainsi dire que les beaux jours se demande peut-être quel drôle de tour lui joue soudain le monde… Dans le champ aussi un chat absolument blanc se faufile avec la souplesse d’une fouine en chasse, comme pour passer entre les gouttes. On en est tous plus ou moins là. On voudrait bien passer entre les gouttes. Mais on n’a pas l’élégance ni la souplesse du chat blanc. On se contente de se courber comme des veaux stupides, et on avance en regardant ses pieds. 

 

18 novembre 2013

 

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