L’ART ET LA MALADIE
Je sais que c’est la loterie, la balle dans le barillet qui tourne et le coup qui part sans souci de celui qu’il va annihiler. Je ne peux cependant m’empêcher de me dire que cette tumeur logée dans le crâne d’un enfant apparemment sensible et prédisposé à l’art, ce n’est pas tout à fait un hasard — comme si la sensibilité artistique et la maladie étaient liés, n’étaient même peut-être que les deux faces d’une même pièce. Côté pile, la création ; côté face, la mort. (C’est une idée banale, d’ailleurs étudiée par Segalen dans sa thèse sur les « cliniciens ès-lettres », mais qui me trouble.)
On craint en tout cas que la tumeur tôt ou tard l’emporte en un gâchis insupportable. L’adolescent le sait, lucide, amer. Le couperet peut tomber à tout moment. Et le voici pourtant avide de savoir, attentif, souriant, posant des questions et répondant aux miennes… Il ne faut pas parler du futur. On navigue à vue à travers la souffrance indirecte des poèmes de Louise Labé ou Verlaine. On ne peut être ni trop grave, ni léger. On reste distant et attentif, on écoute, on ne perd pas de temps comme ce peut être le cas en cours, on ne peut pas se le permettre pas plus qu’on ne peut se permettre la futilité d’un détour grammatical. La maladie rend les choses tragiquement précieuses.
4 février 2009