Vigie, février 2009

 

  

AILLEURS 

 

On quitte le Villard sans même songer à fêter ce premier anniversaire de notre installation : j’ai rendez-vous avec le fantôme de Nicolas Bouvier dans cette même salle de l’université de Savoie où Kenneth White était venu parler de « poétique de la montagne ».

Nous voici face à son portrait. Sa voix résonne dans l’amphi. Éliane Bouvier est là, juste à ma droite, qui sourit, qui s’exclame parfois, la tête pleine de souvenirs qui n’ont pas l’air d’être tristes. Parfois la gorge se noue et les larmes viennent quand même. Cette dernière page de L’usage du monde : tout y est dit, le sommet de l’œuvre et de la vie. 

Au retour je m’en veux du temps perdu à des corvées inutiles et peut-être évitables. Il est plus que temps aujourd’hui de vivre et d’écrire. (Quand, six ans plus tard, je remets de l’ordre dans ces notes, je sais qu’il faudra encore attendre trois ans avant que ne s’achève cette période de stérilité et d’attente, dont il ne me semble d’ailleurs être sorti que ponctuellement comme si ce recopiage de pages anciennes n’était là que pour masquer un manque – mais je crois qu’il s’agit plutôt d’une phase de maturation lente qu’on ne peut pas davantage précipiter que celle des meules de beaufort, sous peine de n’obtenir qu’un fromage insipide !)

À onze heures et quart il est pourtant trop tard pour se remettre au travail (mettre de l’ordre dans ces notes est aussi une façon de ne pas se mettre vraiment au travail, mais permet de garder la posture : disons, pour changer de la métaphore fromagère, que c’est une façon de rester au bord de l’eau dans l’attente du plongeon).

J’ai perdu mon temps une fois encore (tu le retrouveras plus tard, en écrivant).

Se saisir au moins d’un livre pour tenter de faire passer ce goût d’insatisfaction domestique.

Fermer les yeux.

Revoir, comme dans un rêve, le corps lisse, les courbes parfaites de ce plongeon arctique glissant sur les eaux froides d’un lac en Écosse. (À cela aussi il faudra revenir.)

Fermer les yeux, et les rouvrir ailleurs.

 

 28 février 2009

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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