Vigie, mai 2011

 

 

LE NOUVEAU TOIT

 

 

À la nuit tombée il pleut à verse sur les tôles du nouveau toit — un doux roulement, une rumeur de petite tempête, et le carillon cliquette comme les haubans des bateaux dans les ports. Je m’affaire, je m’agite, mais voic qu’’une brèche s’ouvre dans le mur rassurant de l’emploi du temps et c’est aussitôt le désarroi : que faire d’autre à présent ? Le ménage ? Réciter ou lire un texte ? « Méditer » ? Écrire ? Toutes les distractions sont bonnes pour masquer cette béance à laquelle je n’aspire que partiellement, qu’au fond je continue à refuser. Même les pratiques censées mettre à mal la distraction deviennent des formes sophistiquées de distraction.

Et pendant ce temps le temps creuse. J’entends au téléphone la voix de plus en plus essoufflée de ma grand-mère, poumons rongés par le cancer ; celui de ma mère semble déjà l’emporter sur les médicaments…

La pluie redouble. Le carillon s’affole.

Flammes impassibles des bougies, imperturbable sérénité du grand bouddha doré de l’autel.

On se raccroche comme on peut, à ce qu’on peut.

Les enfants dorment, protégés du monde par cette bonne coque de noix de la maison au toit neuf et par leurs deux parents, vivants et bienveillants.

Est-ce qu’on devient moins triste ? Est-ce qu’on est moins incertain, plus satisfait, ou d’humeur plus égale ? Est-ce qu’on se laisse regagner par la torpeur ? Est-ce que ce vieux crabe des désirs enfouis continue à creuser en biais ? Est-ce qu’on a moins peur ? Est-ce que c’est plus vif, plus vibrant, plus intense à présent ? Est-ce qu’on s’étonne, est-ce qu’on parvient à mieux goûter la saveur de l’instant ? Est-ce qu’on pleure un peu moins, un peu plus ? Est-ce qu’on aime un peu plus, un peu mieux ? Est-ce que les défenses cèdent, est-ce qu’on apprend à perdre ? Est-ce qu’on devient un peu moins égoïste, moins lâche, moins paresseux ? 

Rien n’est certain, si ce n’est l’intense bonheur que j’éprouve quand même à entendre cette interminable averse printanière tant attendue et tellement bienvenue, que la course dorée de la plume sur le carnet tente d’accompagner en sourdine.

 

Ça vie, ça vibre, ça continue, ça s’amplifie, ça simplifie, ça se répète. 

 

Puisse l’averse ne jamais s’arrêter (l’attachement, aussitôt)… Puisse-t-on laisser filer sans chercher à la figer cette beauté pareille à l’eau qui glisse sur la fenêtre noire, ou à ces mots dorés qui glissent pareillement sur la page du carnet.

 

14 mai 2011

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