Notes du dernier voyage (mai 2014)

 

 L’ACCORDÉON

 

 

À taper au retour ces notes me remontent en mémoire l’odeur de pneu brûlé du métro et cette atmosphère écœurante, sale, oppressante… Mais aussi : le parvis des Droits-de-l’homme, le Trocadéro, la Tour Eiffel et son interminable cohue touristique, le tour en bateau-mouche le long de l’île de la Cité et l’enfant endormi. Les images défilent, grandioses, démesurées, orgueilleuses, hautaines, indifférentes. Cela donne évidemment le tournis, mais on ne s’y abandonne pas comme il faudrait. On reste sur le quai, distant. Cela ne touche pas. L’Histoire défile, toujours celle des puissants, et sans lien avec l’histoire intime. Les enfants s’épuisent à marcher sur ces allées disproportionnées, conçues pour des régiments de cavalerie en parade ou des chars mais pas pour des piétons ; moi aussi je m’épuise. Parfois cependant émerge le sentiment, à la fois juste et déplaisant, de n’être qu’une fourmi assez insignifiante au sein de cette fourmilière bigarrée « où chacun est quelqu’un de quelconque et d’unique… ». (Tout de même, on aurait pu éviter cette épreuve de la montée sur la Tour, détour dont on ne retire rien.)

Nos amies Agnès et Valérie sont là cependant, qui ont amené un pique-nique royal. J’aimerais bien y être aussi. J’aimerais renouer avec des sensations du Paris que j’ai connu, et qui était, je crois, moins minéral, moins distant, ruelles de ma jeunesse au petit matin mouillé, quartier latin et cinémas déglingués où on revoyait en boucle Faces ou surtout Love stream… Paris, bien sûr, n’y est pour rien.

Retour au métro. Un joueur d’accordéon venu des pays de l’Est – un de ces autodidactes que raille assez injustement ce ronchon de Réda – soudain illumine la rame en jouant « Libertango ». Air rebattu, sans doute, tube mondial partout joué et que je jouerai à mon tour dès que je le pourrai – mais aussitôt quelque chose de vivant passe, rend de l’éclat aux regards, de la force et de la netteté au flou des contours. Et je revois alors l’image forte de ce petit figuier enfermé dans le jardinet de la rue voisine qu’on emprunte tous les jours pour partir et revenir, je sens l’odeur de cire de cette interminable montée d’escaliers que ma mère peine à gravir, j’entends les pas d’un inconnu qui passe dans ce même escalier, et l’histoire lue aux enfants épuisés résonne encore, et toutes les petites lumières rallumées sur la façade en face brillent encore…

Rideau rouge, voilage jaune, volets fermés, stores baissés, rideaux légers entrouverts, rideau sur tout cela, sur cette journée sans gloire dans cette ville trop glorieuse, au bout de laquelle ne résonnent plus que la musique de Piazzolla et la sirène glaçante qui annonce la fermeture des portes automatiques du métro…

4 mai 2014

 

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