BUTTES-CHAUMONT
Il y a, dans tout voyage relaté honnêtement, de plus ou moins longs tunnels d’insatisfaction (car en voyage comme ailleurs on est pris dans les rets du déjà vu, aiguillé sur les rails du déjà-vécu, et l’on enrage d’autant plus que le temps nous est compté et qu’on ne peut pas l’ignorer). Pour peu qu’on ne nie pas les nœuds et qu’on fasse aussi quelques pas de côté, l’exaspération finit par s’apaiser et l’on débouche parfois sur un sentiment accru de la réalité.
Ainsi de cette marche paisible dans le quartier des Buttes Chaumont, puis dans ce grand parc où les enfants s’amusent, où les souvenirs une fois de plus se forment, se croisent, se mêlent, s’effacent : les amis d’un instant dont on ne se souviendra jamais mais qu’on reverra peut-être un jour sur une photographie (« C’était le petit garçon avec qui tu avais joué, tu sais ? » − de tels souvenirs me reviennent souvent, ces temps-ci : ainsi, au moment où je mets au propre ces notes, d’un enfant allemand avec qui j’avais joué en Grèce, le long d’un parapet, et je serais bien en peine de dire où ce lieu se trouvait) ; le ciel changeant, les parfums de mai, la douceur, le soleil qui s’en va, qui revient, qui s’en va, le chant tonitruant des merles, le vent dans les feuillages, le petit kiosque et la grotte artificielle, un avion qui passe, les rires, les jeux encore – et tout cela tellement plus vrai, tellement plus touchant que la pompe de la Pyramide devant laquelle tout de même on se photographie ou les façades prétentieuses du Louvre…
L’après-midi, visite du Quai Branly, au rouge sombre élégant. Saisissement prévisible devant la plupart de ces masques océaniens. Dans la chambre des sons et des images, brèves sensations amazoniennes. Musée, chambre d’échos lointains. Mais tout cela peu ou pas contextualisé, et pas un mot sur le probable pillage des œuvres ni l’état actuel des civilisations concernées. Musée mort, superbement embaumé…
6 mai 2014