Vigie, juin 2008

 

 

 

RÊVES DE JUIN

 

 

La pluie s’arrête enfin et la route fume, que traverse un chevreuil pressé. Cette forêt froide, cette maison dans la montagne, ce hameau, ce havre : nous y voici donc, à cette autre vie qu’on avait tant voulue. Tous les ailleurs de la Terre chavirent derrière cette ligne de crête.

 

Relu Bashô, puis Kamo no Chômei. On est loin des catastrophes, des foules en panique, des ventres affamés. On est protégé, et on pense que cela durera sûrement — peut-être jusqu’au bout, jusqu’à ce terme où il n’y a de toute façon plus aucune protection qui tienne. On se répète ces mots-là (ou on cherche à ne pas les entendre en se disant, peut-être avec raison, que cela ne sera d’aucun recours le moment venu), gagné quoi qu’il arrive par la stupeur, l’incrédulité, devant l’inéluctabilité de ce qui n’apparaît à distance que comme un rêve (ou un cauchemar) et qui tend à transformer toute la réalité vécue en rêve (ou en cauchemar).

 

Je vois ma silhouette passer au hasard d’un miroir : c’est à peu près la même, le pas est vif, le poumon sain, le cheveu noir et en bataille, car je suis encore jeune.

 

Bientôt je marche dans les rues du bourg voisin, savourant la douceur pas encore étouffante de juin (on n’a pas fait les foins, les malades respirent encore). Une femme s’exclame, parce que son bambin s’est aventuré seul en dehors de l’enclos familial : « Oh ! Le vilain garçon ! » Un couple d’handicapés fait la queue à la poste – le souffle rauque de l’homme inquiète la petite fille blonde qui, elle aussi, attend avec sa maman. Une vieille dame remonte très lentement la rue en pente.

 

Ces maisons du centre : si j’y habitais, je m’installerais là, sur le balconnet, et passerais le restant de ma vie à regarder passer les passants et à décrire, à redoubler ma vie et la vie des autres par des lignes d’écriture – comme si écrire permettait d’assurer au rêve ce minimum de consistance sans lequel on craindrait de s’évaporer avec lui au réveil. 

 

Un clocher sonne six heures. Une porte claque dans la mémoire, puis l’envol d’une tourterelle. Trilles et silences. Je croque une cerise, la première depuis huit ans. On continue ainsi, sans inquiétude. On est encore jeune.

 

 

Bêlement dans la brume

à flanc de falaise 

troupeau minuscule.

 

 

L’averse à nouveau

sa rumeur

ses silences.

 

 

Un mot sur l’averse ?

le temps de chercher

il ne pleuvait plus.

 

 

Tu fixes la crête

songeant à partir

songeant…

 

 

2 juin 2008

 

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