Vigie, avril 2017

 

 

 

LEÇONS DE TÉNÈBRES

 

Vigieavril201704

 

Leçon de ténèbres et lamento sur France Musique ce matin ; leçon de clarté au dehors. La lumière qui éclaire les crêtes des arbres accentue la pénombre de la forêt qui, pour un moment encore, restera dans l’obscurité, et réveille une fois encore des souvenirs de crépuscules amazoniens avec aras rouges et cris sauvages – souvenirs qui, d’ailleurs, éclairent plus sûrement que le soleil et refont du printemps un voyage.

Jetant un œil à la fenêtre je constate avec satisfaction que les lilas ont bien repoussé et sont en train de refleurir. Là-haut les chevaux broutent les coucous jaunes. Les fleurs du mirabellier, qui étaient tellement belles, semblent s’être transportées comme une nuée de papillons jusqu’à la cime du poirier.

À cette heure les ouvriers s’affairent le long de la route ordinaire où ils viennent d’installer une toute neuve et étincelante rambarde métallique.

Une semaine durant, le voisin et ami Marian a arpenté les sous-bois bien trop secs à la recherche des morilles, en vain ; quelques-unes, néanmoins, poussaient dans son jardin, qu’il me montre avec satisfaction.

Leçons de ténèbres et de clarté, auxquelles je tente de tendre l’oreille depuis ma Cave en écrivant cette « lettre ouverte » dont le désir m’a été insufflé par Joël Vernet, et que j’enverrai, dans quelques jours, aux éditions Le Réalgar.

Ce nom de réalgar, sitôt écrit, me rappelle la collection de pierres que j’avais autrefois, quand j’étais enfant, chaque pierre collée sur un socle de bois et soigneusement étiquetée, le réalgar étant dans mon souvenir jaune orangé. Une recherche sur la Toile me le fait cependant découvrir rouge sombre, et l’étymologie de ce mot ne manque pas d’intérêt : « Le mot viendrait de l’arabe « rhag al-ghar » (poussière de caverne), ou de « rhag al-far » (poudre des rats) du fait d’une erreur de lecture : le réalgar était effectivement utilisé comme mort-aux-rats ». Je me dis, cédant comme toujours au goût des analogies faciles, que l’activité d’écrire peut aussi bien être vue comme un poison, une façon de ne pas vivre, ou comme un remède, une façon d’exhumer de soi (de sa cave, de sa page) un peu de la poussière du très ancien sentiment d’unité qu’exprime l’art des Cavernes…

 

18 avril 2017

 

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