Vigie, janvier 2020

 

 

 

Les rêves

 

 

Vigie janvier 2020 luminaire

 

 

Depuis quelque temps j’ai cessé de noter mes rêves, comme si le déroulement ordinaire de ma vie aussi bien réelle qu’onirique avait moins d’importance, ou bien simplement par lassitude devant tant de redites et toutes ces jérémiades réitérées en boucle alors que ce que j’aime, ce que j’aimais, c’étaient les lieux nouveaux, les paysages et surtout ces maisons inconnues que le rêve et le voyage permettent d’habiter en secret…

 

Écrivant moins, il me semble que je rêve moins, car les rêves glissent et s’effacent plus vite ; celui-ci néanmoins me réveille, vers la fin de la nuit, que je ressens le besoin de prendre en note.

 

Je suis dans la maison du Villard par un après-midi de fin d’hiver ensoleillé – mais les quatre niveaux de la maison n’en font plus qu’un, de plein pied avec le jardin, et les murs intérieurs ont été repeints en ocre rouge, ainsi que je l’avais fait il y a quelques années au retour de Venise avant de revenir à un blanc cassé plus discret. Je remarque également la présence de deux grands zabutons rouges qui semblent suggérer que j’ai repris la pratique de la méditation assise, pourtant abandonnée au profit d’une forme de méditation musicale.

Il y a beaucoup de monde dans le salon où se pressent et devisent assez bruyamment Léo et Clément, Agnès et Valérie, Marie-Hélène et Christophe avec le petit Swann qui cherche les saxophones, et puis mon père et Anne, et Josette enfin qui se tient à l’écart, silencieuse, lointaine, avec le souci manifeste de ne pas déranger cette foule de vivants.

J’attends mon ami Éric qui doit certainement passer, au retour de voyage, et « cela fera un partenaire de plus pour jouer aux cartes », dis-je à Agnès et Valérie. Je m’en réjouis. Je m’affaire, je prépare les chambres, les lits, le repas…

Soudain une sorte de voiture de course verte pareille à un jouet d’enfant déboule dans le hameau, franchi le portail noir et vient se garer dans l’herbe, ainsi que nous le faisions autrefois du temps où nous n’avions pas aménagé la plate-forme qui nous sert de garage. Un immense gaillard habillé comme un bûcheron canadien en sort, qui me salue comme s’il me connaissait mais que, moi, je ne connais pas du tout : je suppose qu’il s’agit d’un ami d’Éric croisé lorsque j’allais chez lui découvrir le monde du miel. Il m’interpelle, me demande si je sais si Éric est rentré. « Il doit passer ici, dis-je, je pense qu’il est rentré. — Tu sais qu’il lui est arrivé des bricoles ? Il a cassé sa Mercedes et il a de gros ennuis parce que des gens lui cherchent des noises… — Oui, cette histoire me dit quelque chose… »

Mais le détail de l’histoire et les voix de la fête se perdent déjà dans le brouillard du matin. Le quidam à la voiture verte repart. Je balaye la terrasse qui est jonchée d’aiguilles de sapin et sur laquelle sont couchés ma vieille chienne Patawa et le labrador blanc de mon ancienne voisine. Les invités s’évanouissent, la terrasse est déserte, le rêve s’arrête ici.

 

 

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