Vigie, février 2021

 

 

 

Balades du matin

 

 

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Ciel très pur traversé par le vol d’une pie. Le chien blanc court dans le pré vert sombre. On slalome sur la terre retournée par les sangliers. Ces grenouilles rousses que l’on trouve partout accouplées accomplissent leur discrète prouesse bi-annuelle (aller-retour) : en voici deux qui avancent pesamment sur l’herbe encore blanchie par le givre.

 

La grosse branche d’aulne qui plaisait tant au chiot, le grand chien la délaisse, occupé à d’autres affaires, d’autres odeurs, d’autres découvertes, tout occupé à dépenser le trop-plein d’énergie accumulé pendant la nuit.

 

À mesure que la lumière dorée descend le long de la Chartreuse le chant des grenouilles rousses s’intensifie, passe du ronronnement au grognement rauque, puis du grognement à une sorte de vrombissement dont la puissance surprend.

 

Partie de cache-cache à la lisière. Mon attente derrière ce tronc pourri n’a pas duré longtemps – puis le chien reprend cette passion coprophage dont je tente de le détourner, aspirant avec le plus grand plaisir restes de bouses et de paille, crottes de chevreuils ou de cerfs, crottes d’autres chiens, voire ses propres crottes – il aura au retour une haleine effrayante.

 

Un pic martèle l’avancée du printemps et donne une fois encore à ces modestes alpages de la Vallée une allure de forêt boréale.

 

J’ai bien repéré ces deux biches sur la crête, là-bas à l’autre bout du champ, mais Rimski ne les voit pas et ne les a pas senties, preuve que, tout de même, la vue et la position élevée du bipède garde son efficacité ; elles, nous regardent avancer vers elles longtemps sans bouger, avec une curiosité qui m’étonne, puis elles finissent par détaler. On s’enfonce dans le sous-bois en suivant leurs traces.

 

Ce coin de forêt que j’aimais tant, et où je me souviens avoir pris de Léo tout petit une très belle photo, semble à présent désolé, ravagé, des troncs coupés partout, et ce bosquet où nous aimions tant nous cacher a été rasé lui aussi. Je me tiens en équilibre sur ces vestiges que je m’attache à transformer en quelque chose de neuf.

 

Soudain je retrouve quelque chose du grand plaisir que j’éprouvais aux premiers temps de notre arrivée en ce lieu, parce qu’on peut y faire une boucle en pente très douce qui offre sur une courte distance une grande variété de sensations et de paysage : collines, alpages, sous-bois, forêt, village. Je m’installe un moment sur une des souches coupées, comme on s’assoit sur son passé, parce qu’il y a là-haut une troupe d’étourneaux qui chantent à merveille, et puis des gros-becs, un grimpereau… Je peux prendre le temps de les écouter parce que mon chien ne fait aucun bruit et ne manifeste son désir de jouer et d’avancer que par quelques mordillements à ma botte lorsque, vraiment, le temps se fait long, et qu’il meurt d’envie d’aller retrouver plus loin ce coin de terre où il aime tant jouer les sangliers… 

 

 

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