Vigie, juin 2023

 

Ci-gît Juin

 

 

Juin touche à sa fin. « On arpente sa vie au pas de promenade et puis l’on s’aperçoit qu’il faudra se presser… » Quelle accélération du temps on aura connue en ces dix jours où je n’ai presque plus écrit !

L’usure des objets, des machines, est aussi ce qui nous inscrit dans le temps — ce n’est pas le cadran de la montre qui dit vraiment le temps, mais le bracelet qui lâche. Ma vieille Sirion m’a lâché et je roule dans la Clio d’un vert craquelé que nous a gentiment prêtée Éric, avant de probablement racheter la Twingo de Laurence — la circulation des objets révèle aussi le cercle des amitiés, de l’entraide.

De jour en jour j’ai échangé avec un sympathique inconnu qui travaille dans les avions, aime la poésie et, ayant beaucoup aimé Entre deux gares, a écrit un article sur le livre dans la revue en ligne qu’il dirige.

Le 22 juin, je suis allé comme prévu en gare de Pontcharra, un sac plein de livres sur mon dos, pour me rendre à la lecture qui devait avoir lieu à Chambéry. Le vent s’est levé. Le panneau des départs n’affichait aucun nom, aucun mot reconnaissable, seulement des traits, comme un message de détresse rédigé en morse, et j’ai regardé avec inquiétude le gros grain dans lequel le Granier était pris et qui fonçait vers nous. Lorsque je suis arrivé, avec retard, à Chambéry, tout le quartier de la gare était inondé et les gens occupés à écoper : l’orage, contrairement au public, était venu au rendez-vous… Frédéric-Yves et Angélica m’ont rejoint au café en face du théâtre pour une conversation touchante et plaisante où il a été question, entre autres, du départ des enfants (Angélica se réjouissant pour moi que Léo reste dans le même pays !), puis nous nous sommes rendus dans les très beaux locaux de l’association Lectures plurielles où nous avons retrouvé Hélène Phung, Patrick Chemin et Dominique Bombled-Rolain. Un autre texte commun a émergé alors à partir de nos fragments, texte funèbre peuplé de fantômes, de trains en partance et d’enfants qui quittent la maison, et texte étonnamment cohérent – à l’image peut-être des trois chemises violettes adoptées sans concertation aucune par les trois auteurs masculins, comme si le violet était décidément la couleur qui convenait le mieux à la tonalité de nos livres et de nos vies, ou bien n’était-ce que façon de mieux mettre en valeur le rouge de la robe d’Hélène ?)…

Le lendemain, la Clio familiale conduite comme naguère par Nathalie file sur l’autoroute avec le soleil de face et Léo à l’arrière, en route pour Tours où nous allons choisir la chambre et découvrir la ville. Comme elle nous semble belle, paisible, respirante, palpitante, cette ville de Tours ! C’est une semaine avant l’explosion de violence qui allait sinistrement la frapper, à l’instar de la plupart des villes du pays… La grande chaleur estivale et la fatigue contribuent à brouiller un peu plus les repères et le sens, si bien qu’on ne sait plus très bien si l’on s’est déporté du côté du passé (ce binôme conjugal spontanément recomposé autour et au service de Léo, sans que cela ne génère ni tension, ni nostalgie, ce qui montre assez à quel point notre séparation n’a pas mis un terme à notre bonne entente) ou du côté du futur, mais c’est quand même le futur qu’on balise ainsi, avec Léo, depuis notre grenier dans le vieux quartier, à hauteur de pigeons et d’étourneaux. On choisit une chambre cossue dans un très vieil immeuble avec une grande cuisine de campagne donnant sur un jardin à l’abandon, toutes choses bien faites pour me rassurer et rassurer peut-être Léo, puis on arpente en transpirant les longues avenues peuplées d’étudiants chics. L’après-midi venue, j’écoute comme chaque jour Léo me parler des conséquences sanitaires du réchauffement climatique et de la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau (les deux sujets qu’il présente pour le grand oral du Bac). Naturellement je m’immisce dans ses études, qui touchent à des sujets qui m’intéressent de longue date, et je rêve de partir enseigner au Lycée Descartes, avec lui ! Le choix inespéré de cette formation centrée sur la crise écologique me donne le sentiment de le retrouver, même si c’est illusoire puisque le temps du départ est venu. On signe les papiers pour la chambre, pour la banque, on prend la pose devant le lycée ou la Loire, puis on repart à la poursuite du soleil.

Aujourd’hui je retrouve mon bon chien blanc et mon chemin familier que j’ai l’impression d’avoir un peu trahi dans mes rêves de ville. Des forestiers sont occupés à couper le bois pour l’hiver prochain. Je regarde la branche du châtaignier que la tempête du 22 juin a brisée. Ci-gît Juin ! On verra très bientôt ce qui va naître de Juillet… 

27/06/23

 

Ce contenu a été publié dans 2023. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.