Vigie, juin 2023

 

Une autre histoire

 

 

Ce matin Léo est quatrième sur la liste d’attente d’une nouvelle vie qu’on imagine plus vaste, plus périlleuse, en laquelle on se projette, qu’on prépare activement car la décision finale tombera dans les prochains jours. Je pense moins aux prédateurs qui menacent l’oisillon au moment de l’envol, et davantage à l’envol lui-même. La journée file, fiévreuse, avec cette intensité électrique que confère parfois une consommation excessive de café (je n’en ai pourtant pas bu). Il faut assurer l’intendance, les arrières, renflouer les caisses. “Allez, c’est d’accord, je le signe ce pacte, dis-je à mon principal qui n’est pas Méphisto, donnez-moi une brique, deux briques, plus d’heures et d’argent, et puis — c’est entendu, plus de cheveux blancs désormais ni de rides !” Je ne dors plus.

L’orage finit par éclater puis tout s’apaise au soir tombant quand je m’en vais sortir Rimski dans la lumière déclinante. Les feuilles rutilent, même les verts les plus sombres semblent phosphorescents. C’est une vie toute neuve qui brille là-bas à contre-jour au bout de la rivière. De l’oiseau qui s’est fait plumer l’autre jour sur le chemin il ne reste qu’une patte, mais un autre oiseau s’envole, happé par le soleil. Le torrent rugit dans le passage étroit, Rimski cette fois savoure la promenade en zigzaguant avec sa nonchalance habituelle d’un côté et de l’autre (plus volontiers du côté où je ne souhaite pas aller). Tout est trempé, tout brille. Ce serait un bon jour, une bonne heure, pour que la salamandre traverse le chemin et proclame à sa flamboyante façon : ici s’achève une histoire, pour qu’une autre commence.

13/06/23

 

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