Vigie, décembre 2023

 

L’intelligence en fond de combe

 

 

C’est humain, cela peut arriver à tout le monde, inutile de trop se jeter la pierre… Dans la douceur tamisée de ma convalescence, installé plus confortablement que jamais dans la chambre des combles que j’ai hier entièrement réaménagée, j’ai délaissé une lecture passionnante mais difficile pour regarder passivement défiler le flux de Facebook. Je me suis bientôt arrêté sur un article qui relayait les propos d’un membre du G.I.E.C. qui pointait, à juste titre, la catastrophe écologique que représentent les animaux de compagnie, chats et chiens principalement.

Jusque-là, rien que de très banal, il faudrait être, me dis-je, prodigieusement naïf ou désinformé pour ne pas en avoir conscience, mais je ne sais pas ce qui m’a pris de lire les commentaires, probablement attiré par le premier qui proclamait très visiblement : « C’est lui (le membre du G.I.E.C.) qui est une catastrophe ». Tiens, me suis-je dit, il y a encore des collégiens sur Facebook, et qui commentent des articles sérieux, même pour dire des âneries ! Cela m’a plutôt amusé. J’ai déchanté en constatant que la teneur des dizaines, voire des centaines de réactions qui suivaient, étaient à peu près la même, malgré le contre-feu que tentaient d’allumer quelques esprits responsables : la plupart des prosateurs ne s’étaient saisis de leur clavier que pour fustiger la « dictature écologique » prête à remettre en cause même nos amis les chiens et les chats (il est vrai que « Marine », comme ils disent, aime les chats) et dénoncer l’incurie humaine en défendant les pauvres bêtes qui n’y sont pour rien.

J’ai loué, sans aller jusqu’à liker, le courage de cet anonyme qui tentait d’expliquer que les chiens et les chats sont des animaux domestiques, que le loup n’a jamais demandé un jour à se réveiller transformé en basset et que, donc, évoquer l’impact de ces animaux c’est évoquer l’impact de l’homme, ni plus ni moins. Il faut voir les choses en face : une proportion probablement considérable de nos concitoyens n’envisage le dérèglement climatique que sous l’angle du déni, sitôt que l’on s’en prend au moindre élément qui constitue leur mode de vie — voiture, chauffage, maison, déplacement, nourriture, et, donc, animaux domestiques. Je suis sorti de cette expérience, que je me suis promis de ne pas renouveler, passablement déprimé, avec peut-être même un petit retour de fièvre.

J’ai tort, je suppose, mieux vaut pratiquer la pensée positive et se dire qu’on a la chance de faire partie d’une minorité de gens capables de réfléchir, et en l’occurrence capables surtout d’accepter de prendre acte des incohérences dans lesquelles nous place la crise actuelle. Je sais ainsi que mes chats ont eu ont tout au long de leur existence un impact déplorable sur la faune sauvage : il n’est pas si loin le temps où Dana m’avait ramené un bec-croisé, et je ne dois sans doute qu’à la présence des chiens le fait de ne plus retrouver de cadavres de rongeurs ou d’oiseaux à l’intérieur de la maison (il est vrai par ailleurs que Dana a vieilli et que Musique, en bon mâle, chasse peu). Au moins puis-je limiter les dégâts en stérilisant les chats, les miens et ceux qui rôdent sans collier et sans maîtres autour de nos maisons.

La contradiction est encore plus flagrante si l’on songe que moi, végétarien depuis des lustres, je cohabite avec quatre quadrupèdes nourris de croquettes produites par l’industrie de la viande. Je n’ai pas de parade, même si je sais qu’il existe des pistes intéressantes, controversées, comme des croquettes à base d’insectes ou de substituts végétaux, dont le coût écologique et financier me laisse dubitatif pour l’instant. Si je rajoute les allers-retours qu’il me faut faire entre le travail et la maison pour revenir promener ma meute, le bilan écologique s’alourdit encore — mais il s’allège si l’on retranche tous les déplacements que je renonce à faire pour rester avec eux, comme ce voyage dans le Grand Nord que je ne ferai jamais puisque le Grand Nord, ils me l’apportent chaque jour avec eux. Mais sans doute suis-je déjà moi-même en train de minimiser les conséquences de ce compagnonnage, montrant au passage que, pas plus qu’un autre, je n’ai vraiment assimilé toutes les conséquences de la crise climatique.

Je sais aussi, et ce sera mon dernier mot car les chiens réclament leur promenade, que l’essentiel des possibles remèdes relève d’abord du collectif. En toute logique, avec des électeurs capables de discernement, les prochaines élections européennes devraient être marquées par un discrédit sans précédent des droites climato-nihilistes, au profit de la gauche écologiste ; à moins que… à moins que…

Enfin, je savoure la beauté printanière au bord de la gouille où les chiens batifolent, puis je retourne puiser au fond de la combe, en prévision des prochaines canicules, des réserves de fraîcheur, de candeur et, je l’espère, d’intelligence.

19/12/23

 

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