Vigie, décembre 2023

 

Intérieur givre 2

 

 

Jamais le givre n’avait tracé d’aussi belles efflorescences qu’en ce jour du 12 octobre 2013, le froid en ce temps-là tombait tôt, où j’avais été tellement étonné que j’en avais fait, après avoir tenté d’en fixer l’image par une photographie forcément décevante, le véritable point de départ de cette rubrique de La Vigie du Villard d’abord hébergée sur un autre site avant que je n’en fasse migrer une première puis une deuxième fois tous les oiseaux jusqu’au présent site où nous nidifions, eux et moi, dans l’attente des livres et envols à venir…

Par la suite j’ai longtemps guetté ces traces du givre, parfois approchées, jamais égalées, et puis je me suis replié sur ma Cave d’or – fort agréable, comme on sait, mais dépourvue de fenêtre de toit – et j’ai un peu oublié ma chambre du grenier… jusqu’à ce jour où la double barre de la maladie m’a fait remonter m’isoler sous les combles et offert ce spectacle fascinant d’une nouvelle floraison.

Des heures durant, allongé sous la couette en compagnie de Nouchka et Dana qui sont mes garde-malade, je regarde le jour passer entre les fougères qui virent du gris au bleu, du bleu au blanc, puis commencent à se déformer, à s’estomper, et finalement cèdent la place à un rectangle de ciel bleu pâle. Bien calé sur le coussin je lis tant bien que mal Par-delà nature et culture de Philippe Descola – la fièvre et la difficulté de certains passages m’obligeant souvent à relire. Je lis Jacob von Uexküll, Milieu animal et milieu humain, les Œuvres de Fernand Deligny et puis, pour me reposer, des romans, des nouvelles, les nouvelles du monde… Souvent je m’endors, me réveille vingt minutes ou une heure plus tard avec la patte de Nouchka dans la bouche et Dana dans mon cou.

Voici que le givre à présent dessine un paysage de steppe onirique, c’est donc qu’une nuit de plus a passé. Je divague, je rêve de plantes, de bêtes et de livres. Je veux, me dis-je, réécrire le Journal d’une plante carnivore en m’inspirant de ce que j’ai lu chez Descola, et puis faire de La Vigie du Villard un livre en quatre volumes, un par saison, qui esquisserait les pistes quotidiennes d’un nouveau rapport au monde…

La fièvre monte et descend, remonte et redescend, s’estompe, s’efface, et laisse à nouveau la place à un rectangle de ciel bleu pâle.

17/12/23

 

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