Vigie, décembre 2023

 

Vu d’en haut

 

 

Après tout un long jour de pluie passé encore à lire sous les combles comme dans une cabine de bateau, la tête dans les nuages, l’esprit ailleurs, le rêve se prolonge, au bout duquel j’ai l’impression de ne plus avoir de corps. Les deux chiens blancs me ramènent au réel et me voici bientôt ballotté à travers le grand champ de ce décembre si printanier.

C’est ainsi et ce sera ainsi, désormais, à l’orée de presque toutes les périodes de vacances : à mesure que le temps alangui du dernier jour avant la pause s’écoule, en l’occurrence en ce jour, le plus court de l’année, où la pluie succède à la pluie (car cette plus longue nuit de l’année n’a été qu’une interminable averse dont le crépitement sur la fenêtre de toit a donné à mes rêves une texture aquatique), Léo est en train de traverser la France, Léo est en train, d’un train à un autre, et l’on guette le message rassurant qui annoncerait qu’il n’a pas raté sa correspondance (il l’a raté, en fait, étant allé manger un sandwich en oubliant l’heure…).

Je m’applique néanmoins à poursuivre le mien, de train, qui reste plein de périls dès lors que Rimski a repéré dans le sous-bois le croupion blanc d’un geai, semble-t-il (à moins que ce ne soit encore celui d’un chevreuil que je ne vois pas et qu’il a senti) ; mais harnaché derrière mes chiens il me semble que je suis moi-même emporté en un mouvement plus vaste que d’habitude, comme si je voyais tout de très haut, en surplomb, chacun pris dans la progression de sa marche, de son traîneau, de sa voitures, de son bateau, de son avion, de son train ou de son temps restreint. Ainsi puis-je être simultanément l’homme aux chiens qui remonte le cours du torrent et l’ouvrier immobile en équilibre sur la grille du barrage qu’il est en train de nettoyer, enlevant les feuilles et les branches coincées avec une sorte de crochet en fer. Ainsi je redescends quand même assez paisiblement le petit bois brouillardeux où tant de troncs sont tombés qu’il ne ressemble plus à rien, pas à un petit bois en tout cas ; puis je débouche sur la route où Rimski croque encore un peu de neige sale avant de s’emparer d’un bâton que lui dispute Nouchka…

 22/12/23

 

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