LIÈVRES ET ROUGEQUEUES
Deux lièvres courent au-dessus du grand champ où l’on a hier répandu le lisier. La maison heureuse encore résonne encore de vie, de cris d’enfants, de rumeurs, de musiques. Parmi les meubles vivants on regardait hier les images rescapées d’un naufrage, de ces enfants devenus grands, ou vieux, ou morts, de ces rires fixés, un peu ternis, à jamais inaudibles, enserrés entre des meubles eux-mêmes morts, sans doute remisés ou détruits depuis longtemps. La maison heureuse alors semblait flotter, cernée par les odeurs de lisier, cependant qu’au dehors comme au-dedans couraient les lièvres du temps.
Qu’est-ce que tu fais, là-haut ? Je travaille à un texte. Je tisse, je repasse avec du gros fil noir les liens invisibles qui unissent les choses. Je recouds les lambeaux des saisons à même la chair de ma vie, un œil au-dedans (un carnet, un écran) et un œil au dehors (la fenêtre). Je travaille à un texte d’été qui me parle de mars, du retour attendu des rougequeues : « Comme on les guettera alors dans l’impatience du printemps », prophétisait le texte. Et se ravive alors la braise de cette impatience que je ne ressentais guère : mais oui, nous y voilà, car en ce sixième jour de mars on peut bien commencer à guetter la venue de nos frères de plumes de retour d’Afrique. On peut guetter autre chose que les « lièvres du temps ».
Les Vellats, 6 mars 2013