Vigie, novembre 2012

 

 

 

RÊVÉ PENDANT L’AVERSE

 

 

Une promenade en barque, un grand lac très tranquille en apparence, mais traversé par de forts courants souterrains. De hautes montagnes en bordent les rives. Il est question de demi-tour. Puis me voici seul dans la maison de ma grand-mère (peut-être est-ce une autre maison, une maison inconnue semblable à toutes celles qu’on habite dans les rêves). J’ai décidé de disparaître. Il n’y a pas de raison particulière à cela, mais il faut quitter la maison. J’emporte avec moi comme un voleur plusieurs rames de papier A4 que je glisse précieusement dans un sac… Je reste sur le pas de la porte, je fais semblant d’hésiter mais j’ai déjà compris que je ne peux pas partir, que je ne partirai pas. Nathalie, les enfants, mes parents seront bientôt là, je n’ai pas de raison de partir et je reste sur le pas de la porte. Juste avant leur retour, je camoufle au plus vite toute trace de ce projet. 

 

Il y a beaucoup de monde dans la maison. Arrive Philippe Jaccottet, tout à fait semblable à son image. Chacun se presse autour de lui, et je n’ose évidemment lui parler. Il est enfermé dans la cuisine où se déroule une sorte de cocktail, je reste dans le couloir désert et m’assois sur les marches d’escalier. Philippe Jaccottet sort de la cuisine et, très étrangement, de manière pour moi inespérée, s’assoit (parce qu’il est, dit-il, assez fatigué du voyage) à mes côtés. Il me tapote amicalement l’épaule et m’interpelle : « Alors, comment allez-vous, Manuel de Oliveira ? » Je n’ose pas lui préciser que je ne suis pas Manuel de Oliveira, d’autant moins qu’il embraye aussitôt sur des souvenirs communs où il est question de Lisbonne, d’un peintre que je ne connais pas et que je fais mine de connaître, de différentes références qui devraient nous être communes si j’étais le cinéaste centenaire. Je ne remarque pas qu’il est peu vraisemblable qu’il m’ait pris pour Manuel de Oliveira, alors que je suis dans le rêve plus jeune encore que je ne le suis en réalité. 

 

Nous engageons la conversation dans le salon. Je suis ému de parler ainsi à Jaccottet. Je le lui dis.  Et je précise enfin que mon nom n’est pas Manuel de Oliveira mais Lionel Seppoloni (il s’agit donc bien d’un rêve autobiographique !). Je lui dis que j’ai eu le premier contact avec ses textes quand j’étais tout gamin grâce à l’adaptation de son poème « Les nouvelles du soir » par Jacques Bertin. Je me raconte. Je dis l’écriture, l’amour que j’éprouve pour ses livres et tout particulièrement pour Leçons, ainsi que les grandes lignes de mon parcours. Écoute amicale. Je raconte ma rencontre avec la poésie vers l’âge de douze ans. Il s’exclame : « C’est magnifique, surtout le mensonge en arrière-plan ! » Je rougis, je le regarde interloqué, comme percé à nu, pris en flagrant délit d’exagération ou de déformation de la réalité. « Vous ne m’avez pas compris ? Le mensonge en arrière-plan, je voulais dire cette nature, la montagne, Chambéry, le lieu où vous viviez, cela fait un très beau mensonge d’arrière-plan. »

 

Je me réveille à ce moment. Six heures, une pluie violente balaye les fenêtres du toit. Il est l’heure de se lever, de partir.  

 

6 novembre 2012

 

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