Route, décembre 2012

 

 

 

REDOUX

 

 

Brusques redoux. On regagne en quelques heures quelque vingt degrés qui font basculer du plein hiver à une sorte de printemps précoce. Ainsi le caractère presque trop stable de l’hiver, saison trop marquée à laquelle on a fini par préférer les moments les plus transitoires de l’année, se fissure, comme se fissure et s’effondre finalement l’épaisse couche de neige accumulée sur le toit du hangar.

Ce matin donc on part avec l’insouciance du printemps. Il a plu toute la nuit et c’est tout juste si l’on ne s’habillerait pas d’une veste légère en délaissant les bottes de neige. Surprise de trouver la route encore recouverte d’une fraîche et lourde couche de neige. Ciel gris plombé, à peine allumé de l’intérieur par quelques lueurs grises. Très beau paysage, très net, très sombre, qui évoque certaines estampes nocturnes et hivernales d’Hiroshige. Ce n’est pas du tout le presque printemps attendu, et l’on s’enfonce d’un cran en décembre comme on pose son pied sur la neige qui masquait un trou assez profond. De la neige demeure la lourdeur, le côté écrasant, mais non la beauté. Neige lourde et très sale sur le bas-côté, qui laisse apparaître de larges taches de prairie vert sombre, comme des morceaux de peau arrachés à la terre. Le triste du printemps et le triste de l’hiver. On accueille cette tristesse. On s’y installe. 

À six cents mètres presque plus de neige, et la pluie qui crépite. On a quitté la netteté du paysage sombre pour les brouillards, la confusion. On est en retard. La pluie crépite sur l’habitacle.

Ce matin on a été pris d’une grande tristesse à l’évocation de certains souvenirs d’enfance. Le cœur s’est ouvert, on a eu envie de serrer son enfant contre soi. Ce fut là aussi comme un petit printemps. Puis cela s’est refermé. Mouvement de repli, de recul dont on est à présent coutumier, et dont on ne s’alarme pas. 

La buse sur la branche, on a d’abord cru que c’était une chouette à cause de la nuit. 

Cette petite guirlande de lumière bleue sur le porche de la maison grise et délabrée, ajoute encore au givre, au délabrement, à la tristesse.

Ce voyage quotidien, on s’étonne de sa lenteur et, quand vient l’arrivée, de sa rapidité. Ainsi du sable au sablier.

 

14 décembre 2012

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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