CROISÉE DES ROUTES
(Novalaise)
Ce soir je m’arrête à la croisée des routes.
Ce bar-restaurant de L’Étape où se déroule la rencontre, je suis passé devant des années durant pour rejoindre la maison familiale du Carrel, puis celle des Vellats. Je suis assis sur ce tabouret rouge face à la baie vitrée qui donne sur le carrefour et, pendant qu’Élodie Jamen parle d’Éthiopie, de Rimbaud, de Polynésie, pendant que François Pérez évoque le Groenland et cette civilisation inouïe des Inuits que son père a connus en compagnie de Charcot, je regarde passer mon fantôme.
Il rôde sur le quai du livre où vient d’accoster, pour escale, le « Pourquoi pas ? ».
Il se renseigne sur les horaires des ferries qui permettent de gagner le cap Farvel via Reykjavik, pour un voyage qui ne se fera pas.
Il hésite sur la direction à prendre.
Il passe à l’arrière d’une R5, le front contre la vitre.
La foule bienveillante nous entoure, qui fait cercle et presque écran de protection entre ce qui se trame là-bas sous les réverbères et nous qui sommes attablés à l’intérieur. Par moments le miroir de la vitre s’inverse et je redeviens ce jeune garçon assis dans la voiture et qui regarde défiler les maisons, les villages, les passants et ce bar de l’Étape où, c’est curieux, se sont rassemblés tous ces gens eux-mêmes en partance – et la scène, comme dirait Bertin, « semble déjà de la mémoire »….
Les parents d’une amie d’enfance de Nathalie viennent me parler, et je pense au passé.
Et puis il y a tous ces militants du livre, ces bénévoles qui pacifiquement se battent pour porter la parole discrète du livre jusque dans ces campagnes. On parle de la croisée des routes, de l’étrangeté qu’il y a à s’arrêter dans un lieu devant lequel on est souvent, mais distraitement, passé, mais aussi des rencontres, des projets. On entrevoit un avenir que le deuxième cercle invisible de nos fantômes n’entrave pas, mais agrandit.
Novalaise, « En avant pays le livre », 18 mars 2015