Route, avril 2015

 

 

 

MÊME LES ARBRES JETÉS À TERRE…

 

 

 

Même les arbres jetés à terre, racines arrachées, refleurissent. Même le plus modeste arbuste, comme ce prunier dans le virage, prend une allure triomphale. Le patchwork de marron et de verts a gagné presque toute la montagne — tout juste s’il reste encore quelques plaques d’hiver sur les crêtes. Les ombres aussi sur la route ont changé, plus diffuses, avec enfin le flou des feuilles. Cette métamorphose quotidienne, cette fragilité, cette force, cette bonté des lilas en fleurs, des cerisiers en fleurs, des pommiers, des pruniers, des cognassiers en fleurs évoquent l’adolescence. Vite fanée, vite traversée, enivrante, exubérante, insouciante en apparence seulement. À Presle la floraison des cerisiers est déjà terminée…

Qu’importe. Aujourd’hui mieux que jamais on accueille avec reconnaissance cette certitude d’un monde neuf. La route est libre, la route est nue, il n’y a ce matin presque personne qui y circule, et c’est un bienfait que de pouvoir la suivre.

Sur la place d’Arvillard les travaux vont bon train. On est en train de remonter les murs d’une nouvelle maison à l’emplacement de celle qui avait été détruite. Vaches et chevaux paissent dans l’herbe haute. Hauts feuillages frais. La saignée a été réparée. Plus d’obstacles. Belle vallée…

J’ai rêvé cette nuit que c’était l’été et que je revenais presque clandestinement dans le collège fermé. Tout avait été chamboulé, je ne reconnaissais rien, et pourtant je faisais visiter à mon père ce lieu inconnu comme s’il avait été familier. Je lui montrais ma salle de classe qui ressemblait à un studio d’étudiant en ville. J’étais redevenu étudiant… Cette sensation de nouveauté venue sans doute du printemps jusque dans le rêve, diffuse encore dans tout le paysage que je traverse à la vitesse affolante de cinquante kilomètres-heure. Même ces cyprès verts dressés dans le ciel gris-bleu, je crois que je ne les avais jamais remarqués, en tout cas jamais vus comme je les vois aujourd’hui en passant.

Cette fois ça y est, la maison neuve est habitée. On tâchera pareillement d’habiter cette nouvelle première journée, cet ultime mouvement du printemps, ou premier de l’été.

 

27 avril 2015 

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