Vigie, mai 2015

 

 

 

DE LA PUBLICATION EN LIGNE

par temps de pluie

 

 

Après quelques jours d’escapade en Ardèche je retrouve la maison froide, le jardin broussailleux et les lilas dont la floraison, dieu merci, n’est pas finie. Je reprends le fil des mots, repassant de l’écriture en champs à l’écriture en chambre. Je dresse la liste des textes en cours et en retard : prioritairement ceux que je destine aux diverses rubriques du site « Traces », et puis ceux plus lointains qui en seront peut-être le point d’aboutissement. 

Il me semble parfois que l’écriture de ces petits fragments presque quotidiens prend le pas sur le reste, sur certains projets d’écriture plus ambitieux qui nécessiteraient davantage de temps (en tout cas un temps moins morcelé), plus de travail et de recul. Je constate cependant que je pratique aujourd’hui de façon plus systématique qu’avant cette écriture du présent qui a, au fond, toujours été ce vers quoi je voulais aller. 

Elle est assez modeste. Elle n’a pas la densité des poèmes que j’aime lire. Son auteur y reste trop présent, marque peut-être d’une attention insuffisamment épurée (car « plus l’attention est pure, plus la présence du  »je » faiblit », et « l’attention la plus grande dépersonnalise, ou, mieux, rend impersonnel le regard, lequel n’est plus alors que médium, transparence et pure réceptivité », lisais-je tout à l’heure dans un bel article que Florence de Lussy consacre à Simone Weil *). Elle est un peu comme une torche que je promène dans la nuit de mes, et peut-être de nos banalités. Elle éclaire, un peu. Elle m’offre en tout cas la possibilité de retours en arrière, d’un travail sur la mémoire (que j’ai à dire vrai franchement défaillante) et plus encore sur les textes : je n’aime pas partir de rien (« cette écume, vierge vers, à ne désigner que la coupe… »), car les textes qui ne partent que des mots ou de l’imagination me semblent vite tourner en rond et, en tout cas, m’éclairent moins.

 

J’ai d’abord conçu cet Atelier en ligne du site « Traces » comme un espace de travail plutôt que de présentation ou, pire, de représentation. Je ne m’y donne pas en spectacle. Je travaille. Faute de temps, faute de vrai recul je ne peux pas considérer la majorité des textes ainsi mis en ligne comme aboutis ; mais ils sont un premier relais entre le travail souterrain de l’écriture et la publication.

Au retour de cette escapade ardéchoise, forestière et pariétale qui fera plus tard l’objet d’un texte, je reçois cependant de l’hébergeur du site une sorte de bilan de la fréquentation, du nombre de connexions, etc. Naturellement je ne peux pas m’empêcher de regarder cela. Je constate avec un peu d’étonnement que les connexions sont nombreuses, de plus en plus nombreuses, même s’il est difficile de faire la part entre celles qui sont accidentelles (qui donc me lirait depuis la Russie ?), celles qui ne durent que quelques instants, et celles qui aboutissent à la lecture d’une page. L’article sur Réda surtout a eu le privilège de nombreuses visites, ainsi que la page sur L’éloignement depuis que Dominique A en a aimablement fait la publicité sur son site. Mais de possibles lecteurs viennent aussi sur cette page de La Vigie du Villard ou mes Sorties de route

Cela me trouble, ou peut me troubler comme le fait de jouer de l’accordéon en public trouble mon jeu, le rend moins pur, moins gratuit, voire le déstabilise complètement (car mes doigts tremblent et je perds toute assurance). Le risque pourrait être, me semble-t-il, de modifier ma façon de faire, d’en dire plus ou d’en dire moins − et je ne pense pas tant ici à l’évocation de certains éléments trop privés ou trop intimes (il y en a peu, le deuil étant par ailleurs l’expérience la plus universelle et la plus banale qui soit) qu’au grand risque qu’il y a de prendre une posture, de se prétendre plus malin, plus accompli qu’un autre et qu’on ne l’est, bref de jouer un rôle.

Je poursuis néanmoins, conscient du danger et je crois assez vigilant. 

Et j’en profite pour saluer les amis, les anonymes de passage sur ces pages, et surtout signaler au monde entier que la pluie est de retour, qu’il fait froid au Villard et que nous sommes comme chaque année entrés dans le petit automne de mai…

 

18 mai 2015

 

 * Florence de Lussy, « Simone Weil. L’Attention comme exercice spirituel : « Boire la lumière » », in revue Sorgue n°6, novembre 2006.

Ce contenu a été publié dans 2015. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.