Vigie, juin 2012

 

  

 

DANS L’AFFAISSEMENT DES LATTES…

 

 

Dans l’affaissement des lattes de l’avant-toit – ce trou, cette béance, là où les clous cet hiver ont cédé, où le bois a pourri – un couple de rougequeues a fait son nid, petite maison de plumes et de traits peuplée de chuintements, de froissements de feuilles, de cris intermittents, ainsi lovée dans la faille de la maison humaine.

Réparer sera plus difficile. (Qui parle de réparer ? On attendra l’automne.)

 

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La terrasse au soleil, les bêtes s’y étirent, tandis qu’à l’ombre du grand sapin le chat Chadek n’est plus qu’une charogne. Arraché des tropiques il attendait toute l’année ce grand soleil d’été dont il ne profitera plus, car il n’avait jamais pu s’habituer au froid. On regarde sa tombe au pied du grand sapin, depuis cette terrasse ensoleillée où les bêtes s’étirent.

 

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L’urgence. Quelque chose de poignant. À chaque seconde on revient plus vite, comme un battement de cœur qui s’accélère, on revient plus vite à l’urgence.

 

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Un scorpion microscopique travers le désert de mon bras nu.

Je ne sais pas où l’écriture s’en va, où l’écriture me mène. Je suis son mouvement.

 

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Ce grand nuage qui glisse le long des crêtes, autant essayer de le stopper en soufflant en l’air ! (ai-je dit à une amie qui endurait mal la mort imminente de son vieux chat malade).

 

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Je tente de corriger ces copies où la poésie se trouve tellement malmenée, et je saigne. La poésie se venge et se défend sous la forme d’un enfant qui vient et qui m’appelle, sous la forme du vent qui emporte les feuilles, sous la forme d’un félin bien vivant qui mordille ma main et finalement se couche sur le tas mort des copies.

 

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La dalle disjointe du carrelage inquiète l’enfant. « Tout va s’écrouler, papa ! » (L’enfant, à qui j’aurai appris à discerner dans toute situation la catastrophe latente, et la maison en ruines dans la dalle disjointe, ne sait pas que cette dalle sera réparée trois ans plus tard par son grand-père qui coulera sous la terrasse une nouvelle dalle de béton pour recouvrir les larmes de notre deuil.) 

 

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De haut en bas, en noir et blanc, dégringoler jusqu’à la fin, jusqu’à l’ultime page suivie par aucune autre qui proclame la fin du livre, la mort du printemps et du chat, l’advenue de l’été, les derniers jours de ma grand-mère, le creusement du crabe qui poursuit son travail, le prochain carnet noir qui attend sur la table, que je n’ai pas hâte d’ouvrir, non, mais qui m’attend et grâce auquel je dégringolerai plus sûrement, de haut en bas, en noir et blanc, jusqu’à la fin, jusqu’à l’ultime page suivie par aucune autre.

 

30 juin 2012

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

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