DIALOGUE AVEC LA ROUTE
− Dis-moi ce que tu donnes !
− Je donne ce que tu nommes, je donne
tout ce que tes mots éclairent
(car sinon c’est la nuit,
la confusion
de l’innommé).
− Mais aujourd’hui, dis-moi ce que tu donnes !
− Les frémissements d’eau du saule
la mousse sur les murs de ce passage étroit
le flou des frondaisons
un grand tronc couché où asseoir tes souvenirs
un bouquet de soleils sur fond de matin gris
le vol d’un geai, l’acquiescement du cheval
qui semble te saluer
je te donne la possibilité de faire ce voyage immobile
à travers les formes et l’espace :
mets t’en plein la vue, c’est offert
il y a là-haut de vastes perspectives
où ton œil peut planer comme ce gypaète
qui est passé, tu sais, l’autre jour au village…
Je te donne un virage
pour la vigilance et la sensualité
une ligne droite pour l’impatience
un carrefour pour la liberté
le petit cimetière pour te rappeler
à quel point je suis brève
une Croix pour te montrer le Ciel
le parfum des sous-bois pour revenir sur terre…
Je donne ce que tu nommes
ce que tu apportes toi-même
ce que tu portes en toi, ce que tu veux
vraiment, tu vois c’est très facile
de s’exercer à ce jeu de parler avec moi
comme l’enfant qui appose sa main maculée d’ocre sur la paroi
où les grands ont fait apparaître la fresque des mammouths
je suis route « participante »
je donne ce que tu rêves
c’est sans raison, c’est sans contrôle
ça ne dépend ni de toi ni de moi mais
je donne ce que vraiment tu veux
ce que vraiment tu cherches :
un monde à dire, à vivre, à traverser.
3 septembre 2015