Vigie, été 2016

 

 

LES VISITES

 

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Deux tourterelles chantent sur fond de grillons. La vieille chienne, tournée vers la montagne, halète péniblement en regardant dieu sait quoi. Une abeille se pose sur la table ; une fauvette à tête noire, dont la tête est orange puisque c’est une femelle, continue à se gaver de baies ; et puis, dans la petite obscurité qui suit le coucher du soleil, les mirabelles diffusent les petites lueurs automnales de leurs globes jaunes sur fond de bouleaux blancs.

A part un bref instant de panique ou de chamailleries de pies au sommet du poirier, on peut considérer que c’est une soirée calme qui conclut une journée calme. Le hameau semble absolument désert. Aucune voix, aucune visite – sauf celle, tout à l’heure, de River, mon pourvoyeur de salades fraîches.

On a trouvé le rythme de croisière, qui permet de progresser en musardant.

Ce matin, j’ai pu pour la première fois jouer les deux mains de la première moitié de la « Polka italienne » (ce que Léo réussit en une semaine, il me faut un mois pour laborieusement y parvenir ; à défaut d’apprendre l’accordéon, j’apprends peut-être l’humilité).

Le plafond du futur salon de musique avance lentement, et c’est une autre façon, assez proche de la musique finalement, de jouer avec le temps : je sais que si je continue ainsi, j’aurai bientôt une nouvelle pièce, insonorisée et sans lien avec le reste de la maison, où se prépareront et même se joueront de beaux concerts.

Je travaille, enfermé au sous-sol, dans cette pièce fraîche et silencieuse. Le téléphone sonne, et voici que j’entends des bruits de mer, des rires d’enfants qui semblent venir d’un autre monde – c’est d’ailleurs le cas. Aucune tristesse, un grand plaisir à se dire que la vie là-bas se passe bien, dans les rires et le plein soleil de la mer.

L’infusion du soir, gingembre et poivre.

Si véritablement je me retrouvais seul, les choses pourraient donc, en surface, continuer ainsi ? – Ce serait tout à fait pareil, les tourterelles roucouleraient de la même façon, les pies se chamailleraient pareillement ; mais il n’y aurait plus de musique, et sans doute, pendant un temps, plus de mots.

Juste la fumée s’échappant de la tasse.

 

2 août 2016

 

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