Vigie, été 2016

 

 

 

LA CONFUSION

 

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Je suis dans une salle inconnue, une grande salle en rez-de-chaussée avec des ordinateurs, des tables rangées en carré, face à une poignée d’élèves de Troisième. C’est la toute fin de l’année, l’heure de faire quelques révisions, et je constate qu’ils ont tout oublié. Je m’échine à leur rappeler la différence entre un son et une lettre, entre une allitération et une assonance, un son vocalique et un son consonantique, entre le son même et le sens, mais le sens, justement, se perd. Je pique une colère noire, théâtrale, sans méchanceté mais pas sans désespoir, puis sonne l’heure de partir.

C’est un mercredi, je sais que Nathalie et mes parents m’attendent à la maison, mais je prolonge encore le cours d’un bon quart d’heure sans que personne ne proteste (cela devrait m’alerter sur la nature onirique de la scène…). Des gens viennent me voir. Le principal est là, qui me demande si j’ai besoin de dix-mille euros pour un projet (là encore…); je lui réponds que je voudrais un four dans la salle pour faire cuire des tartes pendant les devoirs, puis nous quittons l’établissement, qui est immense.

Je m’égare dans un dédale de couloirs, d’ascenseurs, de passerelles. Ce n’est plus un collège, mais une sorte de gare où je n’ai plus aucun repère. Je traverse des champs en compagnie de mes élèves (les mêmes que tout à l’heure, qui semblent ne me tenir aucun grief de ma colère, et avec qui je discute en riant). J’escalade un promontoire d’où j’ai la satisfactionde voir de très haut le collège ainsi qu’un très grand lac que je découvre avec perplexité ; mais je me suis beaucoup éloigné et il faut revenir. Je suis tenté de le faire en sautant de la falaise et en volant, ce qui semble possible puisque, je m’en aperçois quand même, tout ceci est certainement un rêve – mais sait-on jamais si l’on vit ou si l’on rêve ? Je préfère prudemment marcher, même si c’est un peu long, jusqu’à Pontcharra, et de là rejoindre Allevard où j’ai laissé ma voiture. Je vois de grands immeubles en briques et des bus gigantesques qui embarquent avec eux des centres commerciaux pour que les passagers puissent continuer à consommer (on a basculé dans la science-fiction…). Je m’embarque. Ellipse.

Je me réveille difficilement dans une sorte d’hôtel, une chambre inconnue d’une ville inconnue. Je n’arrive pas à comprendre où je suis ni comment j’y suis arrivé, mais il est clair que je suis très loin de chez moi. Sans doute ai-je pris le mauvais bus. Je n’arrive pas à me faire comprendre, mes paroles sont – je le sens bien – confuses. Tout est confus. J’expérimente en rêve ce monde de la folie, de la confusion, où l’on dit un mot à la place d’un autre, où l’on perd pied. C’est assez angoissant, car je sais que mes parents et Nathalie m’attendent, s’inquiètent sans doute, je sais qu’il est tard et je n’ai aucun moyen de les joindre. J’essaie d’expliquer que je suis malade, sous traitement, mais quelle maladie ? quel traitement ? L’hôtesse me prend simplement pour un fou, c’est évident. J’entends à ce moment-là une sonnerie qui me réveille, la sonnette de la maison pensé-je. Je saute du lit, cours à la fenêtre où il n’y a personne, encore dans cet état de confusion qui m’obscurcissait les pensées et dont je n’arrivais pas, dont je n’arrive encore pas tout à fait, à m’arracher.

J’écris ces lignes pour mettre ce cauchemar à distance, l’enfermer dans l’enveloppe hermétique d’un texte et, si besoin, me souvenir plus tard de ce moment où l’on ne se souvient de rien.

 

7 août 2016

 

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