Vigie, été 2016

 

 

 

LES FRUITS

 

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Deux événements d’importance relative et inégale justifient que je m’octroie, à l’instar des chats qui baillent dans le jardin (qui ne font d’ailleurs que ça toute la journée – bailler et dormir), un moment de repos sur la terrasse, avec thé et carnet.

Tout d’abord, j’ai terminé de peindre le plafond du futur salon de musique. C’est un beau plafond, à présent, dont les innombrables baguettes de finition et les découpes sophistiquées m’ont donné du fil à retordre. J’attaquerai demain la phase finale des travaux : l’habillage en lambris de l’ancienne mangeoire, les baguettes de la fenêtre, puis la dernière couche de peinture aux murs.

Ensuite et surtout, j’ai terminé la relecture et la correction de La route ordinaire, dont j’ai envoyé le manuscrit à Lionel Bedin.

Cela n’arrive pas tous les jours. Pour mon premier livre, cela ne compte presque pas : il s’agissait quasiment d’une commande pour les éditions Mutine, qui ouvraient leurs portes. Le Grillon de l’automne, je me souviens l’avoir mollement envoyé à quelques éditeurs que j’aimais, mais j’étais alors en Guyane et me souciais peu de publier ; Pascal s’en était rapidement chargé, et c’est ainsi qu’était parue la première version aux éditions de l’atelier du héron à Bruxelles – ensuite reprise, revue et corrigée, aux éditions Livres du Monde de Lionel Bedin. L’éloignement, j’aurais voulu qu’il marquât mon entrée véritable en littérature – mais le contexte n’était pas favorable, et le livre manifestement moins évident que je ne le pensais (que je le pense encore). Plus de deux ans se sont écoulés entre le jour où j’en ai terminé l’écriture et sa publication. J’ai ensuite écrit, trop vite, Derrière les lignes, que j’ai proposé à un seul éditeur qui me l’a poliment refusé, en donnant des raisons valables (je pense cette fois qu’il avait raison, que de nombreux poèmes méritaient d’être repris en prose, ainsi que je l’ai fait pour la plupart de ceux de La route). Cette Route ordinaire sera donc, si tout se passe bien et si Lionel Bedin en veut encore après avoir lu le manuscrit, le premier livre que j’aurai écrit en toute liberté, sans coupure d’avec mon présent, sans avoir le carcan d’une histoire à raconter, et sans non plus avoir à en passer par l’humiliante épreuve des envois postaux.

C’est un soulagement. Je peux mourir, le testament est fait (je ne suis pas pressé…). Je vais surtout pouvoir travailler à la suite : L’attente des images (reçu deux grosses enveloppes de gravures…), divers autres projets et, in fine, Le Livre de Madère, auquel conduit La route.

 

*

 

En attendant, la soirée est paisible. La chienne peine à reprendre souffle, mais continue à regarder le jardin avec un air bon. Le soleil couchant éclaire les mirabelles jaunes, tableau admirable. Je sais qu’en bon propriétaire, j’aurais dû, je devrais m’empresser de secouer l’arbre et ramasser pour moi seul toutes ces mirabelles pour en faire des confitures, des conserves. Je n’ai rien contre. Mais, outre que le temps me manque, j’éprouve un profond contentement à considérer l’arbre comme une mangeoire géante offerte aux grives, merles et fauvettes qui se repaissent des fruits. Je les observe avec reconnaissance, et quand je vois cette fauvette mâle piquer dans un fruit bien jaune et bien charnu, j’en salive pour elle.

Le parfum des fruits fermentés qui monte du jardin me rappelle en outre le jardin guyanais, dont les mangues, les mombins et les abricots géants étaient si nombreux que nous baignions toujours dans une odeur de liqueur. Quand j’abandonne mes travaux et que je vais faire quelques pas dehors, je mange directement à l’arbre quelques mirabelles, que je n’apprécie vraiment qu’ainsi.

En somme, cette retraite aura été fructueuse.

 

8 août 2016

 

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