Vigie, janvier 2017

 

 

 

UN CHARME FROID

 

Vigiejanvier2017charme

 

Après deux semaines glaciales le redoux est si brutal qu’on se croirait aussitôt projeté en mars. Sur la balustrade de la terrasse les chats roulés en boules attendent le soleil. En un jour toute la glace du chemin a été balayée. Pour la première fois depuis notre arrivée, on annonce la probable fermeture du Collet d’Allevard. La température dans la cave remonte, où je joue de nouveau avec mon Bayan remis à neuf « Oblivion » et le duo avec Léo.

 

Jours encore paisibles. Le petit Arsène joue avec Clément − Clément qui, chaque soir, me lit de façon fluide un chapitre de Yakari puis proteste parce qu’il veut en lire un deuxième, puis un troisième, éperonné par le désir de rattraper l’inévitable avance de son grand frère et de lire à son tour tous ces livres jusqu’alors interdits et qui, tout bientôt, lui seront accessibles et vont ouvrir en grand le petit monde de son enfance.

 

Le dimanche je repars sur la route en direction d’Allevard pour aller au cinéma avec Léo. Champs maculés de blanc et de paille, roux rouille des saules têtards, panache de fumée : c’est maintenant dans les pages du livre que je roule chaque fois, de ce gros livre enfin figé qui part lundi chez l’imprimeur.

 

Cette nouvelle adaptation d’Un sac de billes, lu quand j’étais enfant, est bien académique, et bien dans l’air du temps aussi, sans doute, avec son souci pointilleux de la reconstitution réaliste d’une époque pour laquelle on serait par ailleurs bien en peine d’éprouver la moindre nostalgie. Le sujet est néanmoins si poignant − la fuite des deux frères, en lesquels il est difficile pour moi de ne pas voir Léo et Clément −, les scènes de la gifle ou de l’arrestation si terribles que les larmes viennent inévitablement. On pleure à chaudes larmes dans la salle où aucune place n’est restée libre. On pleure en mangeant du pop-corn. Même l’horrible ralenti et les deux cents violons ne suffisent pas à rendre ridicule la scène des retrouvailles et l’annonce attendue de la mort du père.

 

On pleure, je pleure comme si je venais de perdre femme, enfants et parents. Pleure encore dans la voiture en racontant la Shoah. Il est bon de pleurer. Le sang ne sera pas vraiment sec, même entré dans l’histoire, tant qu’il y aura des larmes qui continueront à couler en mémoire de ces gens…

 

Retour à la maison. Débâcle. Libération pleine de violence, de rancœur. Blessures mal cicatrisées. De beaux cauchemars pour février.

 

Janvier est passé comme un charme froid.

 

30 janvier 2017

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

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