Vigie, avril 2019

 

 

 

L’oiseau d’avril

 

 Vigieavrilmirabellier

 

 

Higelin, l’oiseau de Louisiane, le funambule, le saltimbanque, est mort le 6 avril de l’an passé. Je revois encore ce moment dans le bus, retour de Barcelone, où la nouvelle était tombée, tranchant net un des fils qui me reliaient au passé. « Jacques Higelin est mort. » Je pleure encore – ne pleure pas Higelin mais les rêves perdus de nos jeunesses d’avril. Ma mère, ce Vingt Avril, aurait eu soixante-quinze ans, l’âge d’Higelin à sa mort. Comme dit Maude : « Soixante-dix, c’est bien trop tôt » – quatre-vingt eût été moins navrant (puisque l’arbre de vie reste hors de notre portée). Je garde en mémoire ce jour encore heureux du Vingt Avril 2014 où nous fêtâmes en musique Pâques et son anniversaire : elle fut en forme encore ce jour-là et put en profiter, je crois (ou bien faire semblant). Ce rêve d’avril me retourne le cœur.

 

Trop de douceur en avril, les plaies du cœur se rouvrent et suintent.

 

Je repars cependant en fredonnant « Seul » : « C’est le retour des beaux jours, la saison des amours champêtres ! » C’est un plein jour d’avril à présent, auxquels naturellement se mêlent le souvenir d’autres avrils : avril tant heureux en Dordogne sous le grand cerisier des Eyzies ; avril au Pantanal ou en Camargue, avec leurs gerbes d’oiseaux à perte de marécages ; fêtes pascales toujours portées par ce vieux rêve têtu de renaissance et de vitalité. Avril est un rêve de jeunesse et de fleurs, que les enfants peuvent vivre mais qui reste insaisissable aux adultes, aux vieillards et même aux jeunes gens. Jeune homme, tu le vois qui vole comme un oiseau narquois à quelques pas de toi, juste à gauche, juste à droite, précédant ton chemin, et si tu parviens à l’attraper parce que tu as le corps souple et la main sûre, tu peux l’effleurer un instant ou le tenir dans ta paume, caresser sa tête effarée ou fascinée, mais il s’échappe aussitôt ou il meurt dans ta main.

 

Le ciel moucheté de nuages très blancs, la route filant vers la montagne et tous les arbres en feuilles rappellent pourtant au voyage, rappellent que ce rêve derrière nous est aussi devant nous, qui nous précède et qui nous montre la direction à prendre comme un oiseau narquois pépiant : « Attrape-moi ! »

 

 

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