Vigie, avril 2019

 

 

 

Rouvrir

 

 

 Vigieavril2019rouvrir

 

 

En ce matin trempé et froid de la toute fin avril, les crêtes ont blanchi à nouveau, et la vallée en contrebas aussi à cause des arbres en fleurs et de la brume. Les près sont recouverts d’une pellicule opaque, les fins feuillages font un rideau de dentelle vert tendre aux fenêtres.

 

À quatre heures un rêve de retour en arrière, de retour en Guyane, une fois encore m’a réveillé. Nous étions revenus dans la toute petite maison que nous avons occupée pendant deux ans à Matoury, et je me demandais amèrement si c’était une bonne idée. Je sentais que je ne le supporterais pas et parlais déjà de rentrer, mais il fallait pour cela que je sois titularisé (comme toujours le rêve brasse les époques et les lieux). Une radio diffusait assez fort non loin de la maison des nouvelles alarmantes dans lesquelles il était question d’actes de violence particulièrement graves commis contre des étrangers. Étranger, je l’étais, je le suis, et je sentais bien dans le rêve à quel point j’étais une victime potentielle ; partir n’était cependant pas possible dans l’immédiat.

 

Partir, rester, revenir toujours au même point de départ, point de départ et non point de demeure, c’est dire l’instable de toute situation. Le temps hésite aussi, hésite entre les saisons, entre l’avant et l’arrière, entre le blanc des fleurs et celui de la neige. Je sais bien que repartir sur les routes, comme c’est un peu mon obsession en ce moment, ne règle rien à rien, mais cela permet peut-être de voir l’errance en face, de voir sa fin en face comme Lawrence Ferlinghetti coincé en Sibérie parce qu’il n’avait pas le passeport nécessaire pour faire la traversée jusqu’au Japon, malade en mourir et obligé de refaire en sens inverse l’interminable traversée du transsibérien. On voit sa fin en face. Cela n’est pas drôle, cela ne règle rien, mais c’est peut-être mieux que de se détourner en se recroquevillant dans sa bulle d’illusions.

 

La blancheur d’avril laisse cependant peu à peu la place aux rouges de mai, à mesure que les roses s’épanouissent sur les grillages et que se redressent les cognassiers du Japon, et c’est merveille de voir ces couleurs flamboyantes mêlées aux verts de plus en plus profonds chatoyer derrière les vitres que, bientôt, on rouvrira.

 

 

 

© Lionel Seppoloni, tous droits réservés.

 

 

Ce contenu a été publié dans 2019. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.