Vigie, février 2022

 

 

 

Giboulées de février

 

Vigie0222 08

 

Il faisait si beau hier que je me suis lancé dans le traditionnel ménage de printemps. J’ai nettoyé toutes les vitres du salon, activité autrefois célébrée par Mallarmé comme étant des plus poétiques puisque, à mesure que l’on frotte, le monde réapparait plus net et la vision s’en trouve transfigurée. J’ai percé le mur pour placer le grand cadre avec les photos de Rimski, installé la vieille lampe dans le séjour et les tapis d’Aubusson dans ma « Cave d’or », jeté quelques babioles qui me rappelaient trop le passé. J’ai balayé et lavé la terrasse où s’étaient accumulées toutes les crasses de l’hiver, ainsi que les touffes de poils laissées par la petite chatte noire dont le remords est revenu me troubler ; puis je me suis assis au soleil et je suis resté un moment à écouter les clameurs des oiseaux. Au soir tombé, un papillon est venu se poser sur la vitre de la cuisine.

Quand, ce matin, j’entends gronder la grêle, je n’en reviens pas. Je la regarde fouetter les vitres en diagonale, blanchir le jardin, se transformer en neige. Les oiseaux se taisent. Il neige à gros flocons.

Aux premiers rayons de soleil je ressors avec Rimski. Cette fois ça y est : la gouille ronronne, crépite des mille sauts des grenouilles rousses qui sont revenues et ont recommencé leurs pontes. Les gouttes d’eau qui brillent sur les branches semblent de petits bourgeons gelés. La neige a reblanchi la montagne, mais elle n’a pas tenu sur les prés dont le jaune reverdit peu à peu.

Je dévale le sentier comme l’eau de pluie ruisselle. L’invraisemblable instabilité du temps donne l’impression de faire trois ou quatre promenades en une seule. Même Louise Labé, avec son « Sonnet des contraires », ne pourrait dire toute la gamme des contradictions qui s’expriment à mesure qu’on avance. Si je dis « lumière », ce n’est pas « ombre » tout de suite qui s’impose, mais toutes les nuances entre ces deux antonymes, avec des mouvements irréguliers qui oscillent entre un éblouissement de tôle incendiée et la noirceur d’un crépuscule – mais à peine ai-je dit « crépuscule » qu’il se met à pleuvoir sur le grand champ illuminé des perles étincelantes qui transforment en luxueuse féerie mêmes les vieilles ronces effondrées. L’instant d’après, tout a terni, puis tout brille à nouveau, comme lorsqu’on s’amuse sur un logiciel de retouche photographique avec le curseur du contraste, de la luminosité et même de la netteté.

Je constate que la grande plaque de glace au-dessus de l’écluse a presque entièrement fondu cette fois, si bien qu’on peut passer sans risque. En contrebas le Gelon forme de vraies chutes d’eau à présent. La passerelle recouverte de mousse semble avoir vieilli de cent ans. Quant à la sculpture de neige sur la souche que j’observais à chaque passage depuis plusieurs semaines, il n’en reste plus qu’un disque diaphane, lisse, brillant, abstrait.

Il n’est pas triste, aujourd’hui, le petit chemin boueux, à cause de toute cette lumière qui danse, qui joue à cache-cache alentour, de ce grand fracas du torrent et de toute cette énergie printanière qui monte de la terre et finit par vous traverser…

21/02

 

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