Vigie, mai 2022

 

 

Autobiographie d’un autiste, suite

 

Vigie0522 19

 

Marchant sur le chemin, je songe aux témoignages que je pourrais apporter sur l’autisme. Mentalement je me mets en scène devant les collègues à qui je m’adresserai. L’idée même de le faire me panique, mais j’ai appris à surfer sur la panique, à faire mine d’être à l’aise, à faire de grands gestes et de grands sourires qui donnent le change. J’ai appris à me cacher derrière la parole qui me dévoile. Il suffit d’une comparaison jugée heureuse (comme « surfer sur sa panique ») pour que j’éprouve même un réel contentement, comme un musicien stressé qui parvient quand même à jouer de façon expressive et en y trouvant du plaisir.

Ainsi je parlerai. Ce ne sera pas une confession, ni un exposé objectif, mais quand même l’occasion de revenir sur certains épisodes de ma vie socioprofessionnelle qui me font éprouver une grande honte rétrospective (comme cet accès de colère lorsque j’étais venu littéralement engueuler une collègue qui avait lâché les élèves en retard). Je montrerai la face cachée de l’iceberg, la grande inquiétude sous l’apparence du jeu, dévoilant publiquement les raisons pour lesquelles je cours dans l’escalier (ne pas être pris dans la foule), la façon que j’ai d’éviter autant que faire se peut les situations d’interactions sociales, ainsi que ma difficulté à nommer des visages que je reconnais mal.

Marchant à grands pas le long du Gelon, je suis déjà en train de réciter mon discours, dont la nécessité me semble soudain si vive que je voudrais pouvoir le faire tout de suite.

Cette nécessité de témoigner a probablement un lien avec l’envie d’être compris, de ne pas être considéré comme un malotru asocial, d’obtenir ainsi la sympathie des gens, il vaut mieux se l’avouer ; mais je crois qu’elle est liée surtout à l’envie d’aider celles et ceux qui sont dans la même situation que moi, adultes ou enfants, en faisant mieux comprendre autour de moi ce qu’est la réalité de l’autisme. Plus profondément encore, elle reste liée à cette célébration de l’écriture en tant que manière indirecte d’aller vers les autres, car l’écriture reste première.

20/05/22

 

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