Ça pousse !
Orage et moiteur, les abeilles butinent les scabieuses et Rimski, pourrait-on croire quand on le regarde humer, butine aussi l’air saturé d’odeurs. Parfois, quand on passe dans les hautes herbes encore trempées mais chauffées par le soleil de onze heures, on sent une telle odeur de salade qu’on se croirait transformé en limace ou en fourmi égarée au sein d’un potager géant. De gros champignons d’arbres, l’un couleur acajou et l’autre presque jaune, ont poussé au pied d’un châtaignier en deux jours. Le ruissellement des pluies de la nuit dernière a creusé le sentier. À l’entrée de La Martinette, le laurier s’est couvert de jeunes feuilles qu’on a l’impression de voir pousser à vue d’œil, comme les bambous en Guyane.
Ça pousse, ça nous pousse en avant, vers le haut, vers l’été et l’automne, ça pousse brutalement, une bonne bourrade derrière les omoplates, un coup de pied au derrière et l’on dégringole dans la pente. Ça pousse à rejoindre au plus vite le sous-bois, où l’on oscille bientôt entre les escargots et les coquilles d’œufs brisées par les oisillons qui les ont poussés hors du nid. Ça pousse à grandir, à partir, à s’ouvrir, à ouvrir grands les naseaux et les yeux pour se nourrir autant qu’on peut des sèves et des sucs de la forêt en mai. (Au même moment Rimski, arrêté, pousse pour d’autres raisons que l’expansion naturelle du feuillage et des mots, raison d’ailleurs tout aussi naturelle et vitale mais dont l’évocation, même sous forme de parenthèse, met un terme à l’envolée lyrique.)
Tout en cherchant les morilles dont j’espère qu’elles aussi ont entendu cet appel à pousser de la chaleur et des orages, je contemple un accouplement d’escargots, bijoux tourbillonnants enchâssés dans leur écrin paradisiaque (hier Nathalie a surpris deux couleuvres à collier enlacées). Les verts des sous-bois, ainsi baignés de soleil et de pluie, éclatent en contrastes violents. Ils ont perdu la timidité d’avril et vous éblouissent sans vergogne.
23/05/22
