Vigie, octobre 2022

 

Une illumination

 

 

Nul besoin, pour connaître une illumination, d’en passer par des pratiques spirituelles extravagantes avec maître, mantras et contorsions : il suffit de marcher à cinq heures du soir en octobre, les yeux plissés, face au soleil.

La lumière ouvre en deux la montagne, sépare les nuages, déborde de chaque feuille, se répercute dans le champ en mille fleurs jaunes. On associe les fleurs au printemps, mais force est de reconnaître que le grand champ est bien plus qu’en avril couvert de fleurs : les mauves délicates le parsèment de touches froides, mais c’est le jaune flamboyant du liondent qui domine, comme un écho visuel aux feuilles des bouleaux et des érables.

Criquets et grillons sautent mollement sur mon passage. Soudain je ne résiste pas à l’appel de ce matelas de hautes herbes et, imitant Rimski, je m’y étale les bras en croix. Mon esprit saoulé de soleil s’envole vers le bleu, s’accroche aux nuages, frôle les crêtes roussies par les premières neiges de la semaine dernière qui ont fondu très vite ; puis on se relève et on pénètre dans le petit bois criblé d’autres lumières que concentrent l’orange des lactaires, le chamois des pieds de mouton, le rouge des amanites.

Quand on ressort en sueur et haletant, nos ombres sont devenues démesurées. Comme le temps passe vite en automne, comme sont déconcertants ces contrastes, ces nuanciers de couleurs chaudes et froides, cette vigilance accrue, sereine et tendue, cette douceur qui se prolonge et ces frimas qui s’y immiscent, ces rires d’enfants mêlés aux clarines des vaches et à l’appel du paysan venu voir son troupeau – tous ces appels en écho dans ma tête où retentissent à l’unisson les voix du présent et celles du passé.

Je rentre avec mon beau chien au poil éblouissant, songeant que c’est encore lui qui m’a offert la possibilité de cette illumination. La reconnaissance que j’éprouve à son égard n’a rien d’exagéré. 

05/10/22

 

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