Vigie, octobre 2022

 

« Douce pluie d’automne » (bogues & réflexions)

 

 

« Douce pluie d’automne, cœur au chaud sous la laine », écrivait Nicolas Bouvier au bord de la mer Noire, un œil sur la Crimée, à Trébizonde, en 1953. Douce pluie d’automne en effet, aujourd’hui, qui fait resurgir dans l’air une infusion de tilleul exquise ; et quant à la Crimée, le pont de Poutine ce matin y flambe, ce dont on se réjouit (malgré la perspective des représailles).

Les clarines des vaches accompagnent triomphalement notre descente sur le sentier aux bogues, sur lequel Rimski avance très lentement en méditant un éloge de la botte humaine. Une fois de plus je constate que marcher en automne rend ivre, à cause de toutes ces feuilles, toutes ces formes, tous ces parfums mêlés qui vous brouillent les sens. L’odeur des balsamines, on la sent cinquante mètres avant de les voir : elle écrase toutes les autres, même celle de la fermentation des feuilles, des mûres et des orties. Quand on traverse la colonie, les gangues claquent de tous côtés en répandant leurs graines conquérantes.

Pendant la marche mon esprit s’égare et je repense au livre, à l’attente sans grand espoir d’une réponse favorable des quelques éditeurs que j’ai contactés et qui n’ont pas besoin de moi alors que j’ai besoin d’eux. C’est une situation embarrassante, car je déteste solliciter qui que ce soit. L’idée d’avoir recours à l’auto-édition me met tout aussi mal à l’aise ; celle d’utiliser les services d’impression d’Amazon pour fabriquer des livres de qualité médiocre ne me satisfait pas non plus, même si je sais que le bilan écologique de Gallimard et consorts, avec ses milliers de livres détruits chaque année, est une catastrophe qui devrait imposer l’impression à la demande. Dans le domaine des lettres comme dans celui du cinéma, tous nos modèles sont à repenser. En tant que lecteur, les éditions papier calquées sur le numérique me déplaisent, je préfère dans ce cas lire lire un vrai livre numérique sur ma liseuse, ce qui pourrait être un moyen simple de diffusion s’il ne restait aussi minoritaire tant l’on reste attaché à l’objet. Si l’une des maisons que j’ai sollicitées voulait bien de mon livre, et des suivants surtout, je ne me poserais plus de questions et n’aurais plus qu’à écrire, je ne demande pas mieux ; mais si, comme c’est probable, je n’ai pas de réponse, je pense qu’il me faudrait concrétiser mon idée d’une maison d’édition qui me permettrait de fabriquer mes livres comme je l’entends, peut-être en créant au sein de l’entreprise d’Élodie Le zèbre et la sauge une sous-structure dédiée à l’édition et à la réédition de nos livres, que nous vendrions sur les marchés en même temps que les encens, les parfums et les plantes. Nous sommes deux zèbres sensibles aux odeurs et aux plantes, ce serait un joli nom de maison d’édition, me dis-je, que Le zèbre et la sauge. On pourrait, pourquoi pas, à terme, publier les livres amis, seulement ceux qu’on aime, pour le plaisir…

Voici où j’en suis de mes réflexions quand une bogue tombée de vingt-cinq mètres frôle mon crâne et heurte le sol assez bruyamment. Rimski se retourne et me jette un œil étonné. Mais oui, mon grand, « il tombe de la mort partout », et des bogues en automne.

Arrivé à la Martinette, j’ouvre la maison d’Élodie où je vais m’installer ce matin pour travailler et savourer l’atmosphère de ce lieu que j’aime déjà beaucoup. Paix absolue. 

08/10/22

 

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