Vigie, février 2024

 

Coïncidences

 

 

On dirait ce matin que le ciel blanc a rogné la montagne, dont la crête n’est plus visible qu’en pointillé depuis que la neige recouvre de nouveau les sommets.

Il est étrange que le mot « nuage » soit spontanément associé à quelque chose de terne et d’opaque alors qu’une fois encore ce sont eux, les nuages, qui prennent et diffusent toute la lumière, là où les bandes bleues ne sauraient éblouir. Vue d’en haut la gouille qui les reflète semble une flaque de lumière, alors que vue d’en bas ce n’est plus qu’un trou d’eau sombre parsemé de grappes d’œufs qui vous regardent avec leurs yeux vitreux.

Aujourd’hui le héron gris ne vient pas : je suppose, un peu déçu, qu’il est allé pêcher plus loin ou chercher des branches pour ce qui est peut-être son nid, mais qui n’a pas bougé.

Deux buses s’élèvent en tournant dans le ciel et croisent le vol rectiligne et bruyant d’un hélicoptère, si bien qu’on les croirait elles-mêmes motorisées ; puis, à l’instant où la pluie se met à tomber en faisant sur les feuilles un ample crépitement, deux, trois, quatre, cinq chevreuils bondissent juste devant nous en lisière, et je m’assois aussitôt dans l’herbe pour éviter d’être emporté, si bien qu’un quidam qui me verrait de loin pourrait croire que c’est la pluie qui provoque chez moi ce curieux réflexe de m’étaler par terre comme d’autres prennent le soleil — mais les plaintes des chiens qui tirent éperdument vers le bois lui feraient comprendre ce qui se passe.

Plus loin m’étonnent les traces fraîches d’un tracteur sur le chemin boueux, celui de Philippe en l’occurrence que je trouve plus loin occupé à tronçonner avec son fils un arbre abattu. On parle de l’état du bois, encore tellement malmené cet hiver, du chemin de moins en moins praticable. On parle, on essaie de parler mais il y a de l’ombre dans nos gorges et le torrent parle plus fort. Puis soudain on est pris dans un grand souffle froid, le ciel se déchire et la grêle commence à tomber.

24/02/24

 

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